9 avril 2019
Alexandre Nanot

Apocalypse 1.10 ou le jour de l’Éternel

NEG : Je fus saisi par l’Esprit au jour du Seigneur

SEG21 : Je fus saisi par l’Esprit le jour du Seigneur

PEUP : je fus pris par l’Esprit certain jour du Seigneur

DARBY : Je fus en Esprit, dans la journée dominicale

PAR VIV, OSTER, MART : Un dimanche, l’Esprit de Dieu se saisit de moi

Au travers de ces 5 traductions d’Apocalypse 1.10, nous constatons un éloignement progressif du texte original.

Le texte grec dit :

ἐγενόμην ἐν πνεύματι ἐν τῇ κυριακῇ ἡμέρᾳ
Egenomen en Pneumati en té Kuriaké Emera

Et si ce n’était pas un dimanche ?

La première question que nous pourrions nous poser est de savoir s’il s’agit bien d’un jour de 24 heures ?
Ce que nous pouvons dire d’emblée – qu’est-ce que cela changerait fondamentalement si Jean avait reçu cette vision un dimanche ou un mardi ou un autre jour de la semaine.

Traduire, c’est trahir ! Traduire le « jour du Seigneur » par « le dimanche », ce n’est plus de la traduction mais de l’interprétation, ce qui peut, dans certains cas, être plus ou moins grave. On ne traduit plus, mais on donne au texte une interprétation en fonction de sa propre compréhension. En d’autres termes, le traducteur influence le lecteur. Presque toutes les bibles avec notes ont été obligées de vous expliquer que « le jour du Seigneur » est le dimanche, le jour où les chrétiens se rassemblent.

Quelques exemples :

La Bible – traduction liturgique avec notes explicatives, 2020 – Salvator, page 2809 : Un dimanche, le jour où les chrétiens se réunissaient pour commémorer la résurrection du Seigneur et attendre son retour.

La colombe, en bas de page, note : « littéralement : au jour seigneurial ou dominical. Cet adjectif désigne en grec moderne le dimanche ».

La NFC trouve bon de noter : Le jour du Seigneur, par la suite, cette expression devint la désignation traditionnelle du dimanche chrétien.

La Crampon note : Le jour du Seigneur, le dimanche (dominica dies) ainsi nommé à cause de la résurrection de Jésus-Christ. Le problème, c’est que Jean ne parlait pas le grec moderne que nous employons aujourd’hui. Pour justifier le choix du culte chrétien qui se pratique le dimanche matin, ce verset a souvent été utilisé.

Note de la bible annotée : Ou le dimanche – le mot français dimanche a étymologiquement la même signification (dies dominica). Ce jour, ainsi nommé à cause de la résurrection du Seigneur, eut une grande importance aux yeux des chrétiens, dès les temps apostoliques (il est aussi mentionné dans Actes 20.7 ; 1 Corinthiens 16.2) ; ils pensaient que le retour de Christ et la résurrection des morts auraient lieu ce jour-là. Consacré spécialement à la méditation, ce saint jour était bien propre aux grandes manifestations dont l’apôtre va être le témoin.

Nous trouvons en Actes 20.7 : « le premier jour de la semaine, nous étions réunis pour rompre le pain », les notes de certaines bibles ajoutent qu’il s’agit ici du dimanche matin, jour où Jésus est ressuscité d’entre les morts. Les chrétiens se rassemblaient le dimanche pour commémorer la victoire du Seigneur par sa résurrection. Le dimanche est bien le premier jour de la semaine mais, pour un juif tel que Jean, le jour commence le soir, selon l’expression de Genèse 1.5, il y eut un soir, il y eut un matin – jour un.

Dans le passage d’Actes 20.7, il faut replacer cet événement dans son contexte. Nous sommes donc le samedi soir après le coucher du soleil. La Bible Juive complète, traduit au plus juste l’événement dans une perspective hébraïque, au motza’ ei-Shabbat (samedi soir, la sortie du shabbat), disons à peu près vers 19 heures. Le premier jour de semaine, qui est le dimanche, commence donc le samedi soir après l’apparition des 3 premières étoiles. Paul dialogue avec les disciples jusque vers minuit et comme Luc nous indique qu’il y avait des lampes dans le lieu où ils étaient assemblés, cela nous montre bien que la nuit était tombée.

Autre remarque : Dans son évangile, Jean n’utilise pas le jour du Seigneur pour désigner le dimanche. Il emploie « le premier jour de la semaine » (Jean 20.1), ainsi que Paul en 1 Corinthiens 16.2.

L’Apocalypse de Jean
Timbre de la Grèce 1995

Quel est donc ce jour du Seigneur ?

C’est donc « en esprit » nous est-il dit, que Jean est transporté au Jour du Seigneur. Il n’est pas dans un état de transe mais bien lucide et il se retrouve transporté hors du temps et des contingences physiques. En esprit, il voit le monde invisible et toute l’activité qui se déroule autour du trône (chapitres 4 et 5).

Le jour du Seigneur n’est donc pas à proprement parler un jour de 24 heures, mais une période de temps qui n’est autre que ce « Jour » qu’ont annoncé les prophètes Joël, Zacharie, Malachie et Isaïe. Le Jour du Seigneur – ha’yom adonaï fait donc référence à l’ensemble des événements qui se dérouleront au jour du jugement de Dieu sur les nations, et ce, jusqu’à l’avènement du Messie en Gloire avec ses saints (Zacharie 14.5). Si nous considérons la globalité du livre de l’Apocalypse, nous voyons bien que sont exposées les choses dernières à savoir : la délivrance finale des élus et le jugement des nations, la chute de Babylone et l’établissement de la nouvelle Jérusalem. Ce « Jour » est décrit par les prophètes comme grand et redoutable (Malachie 4.5). Les sages d’Israël disent que ce « jour » sera grand pour ceux qui se confient en Lui et redoutable pour ses ennemis. (Voir aussi Joël 2.28; Isaïe 2.12; Zacharie 9.9-17). Ce « Jour de l’Éternel », c’est tout simplement ce que Jean décrit dans son livre.

Ceux qui veulent comprendre qu’il s’agit du dimanche sont libres, mais il est nécessaire de faire remarquer que la bible n’emploie jamais l’expression de « Jour du Seigneur » pour désigner le premier jour de la semaine. Comme l’a fort bien noté E. Fauvel dans son commentaire sur l’Apocalypse : « laissons cette entorse à la vérité dont le but est de faire triompher le dimanche. Depuis le premier jusqu’au septième jour, nous devons offrir à Dieu un culte qui lui soit agréable ». L’enjeu qui se déroule tout au long de ce livre dépasse largement le cadre du dimanche, mais plutôt ce qui arrivera lorsque Dieu va reprendre les commandes, ces commandes qu’il a laissées à l’homme en Éden. Maurice Hadjadj, dans son commentaire sur l’Apocalypse refuse, lui aussi de voir le dimanche dans ce jour de l’Éternel. Wim Malgo, David Stern, Jean-Marc Thobois privilégient eux aussi cette interprétation.

D’après Beck, le sens serait : Je fus transporté en esprit au jour du Seigneur, c’est-à-dire au moment du retour de Christ, (1Corinthiens 1.8) pour contempler en esprit ce grand événement.

Dieu a laissé l’homme libre tout au long de l’histoire, et son histoire a commencé juste après la chute, dès lors nous voyons les catastrophes se succéder et le mal toujours grandissant. Mais à un moment de l’histoire, lorsque l’homme aura été trop loin et qu’il aura atteint ce que nous pourrions appeler, un point de non-retour, alors Dieu interviendra. C’est là toute la différence entre la prophétie et l’apocalypse. Le Jour de l’Éternel est ce moment dans l’histoire où Dieu va intervenir pour dire STOP.

Retenons la traduction de la Bible de l’épée du réformateur Jean Calvin :
Je fus ravi en esprit et transporté au Jour du Seigneur.

4 Commentaires

  1. Yves TEXIER

    Bravo et merci pour cette mise au point philologique, qui est une mise en garde contre la « traduction-trahison » ! Ni l’exégèse ni la théologie ne devraient pouvoir s’en exempter.

    Réponse
    • Julienchretien

      William Mac Donald

      D’après certains, par jour du Seigneur, Jean se réfère à l’époque du jugement qu’il décrira dans son livre, mais dans l’original Jean utilise une expression tout à fait différente [5].

      En gr. « le jour du Seigneur » (« le jour de l’Eternel » en hébr.) est hè hèméra tou Kuriou, tandis que « le jour dominical » est hè kuriakè hèméra.

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  2. Damien

    Il semble en effet comme tu le dis que L’enjeu qui se déroule tout au long de ce livre dépasse largement le cadre du dimanche…

    Ce qui paraît choquant au premier abord, c’est que  »
    Presque toutes les bibles avec notes ont été obligées de vous expliquer que « le jour du Seigneur » est le dimanche, le jour où les chrétiens se rassemblent. »

    Pourquoi cette interprétation, est-ce délibéré ?
    Est-ce comme dit E. Fauvel, cité dans l’article : « une entorse à la vérité dont le but est de faire triompher le dimanche? Alors qu’en fait, comme il précise, Depuis le premier jusqu’au septième jour, nous devons offrir à Dieu un culte qui lui soit agréable ».
    Ce que Paul développe aussi dans Col2 où il dit que le sabbat (et effectivement ça commence le samedi soir !) est l’ombre des choses à venir, pas la réalité/le corps (qui est le Christ).
    Je ne suis pas sûr que les tout premiers chrétiens se réunissaient que le dimanche, comme on l’entend aujourd’hui avec le « culte dominical » (du moins ceux décrits dans la bible, comme l’exemple de Actes 20,7 qu’on peut aussi comprendre: « on était réuni tel jour pour rompre le pain -mais c’est vrai que le jour est précisé, pourquoi ?-).

    Ces traductions/interprétations seraient alors une sorte de justification de l’institutionnalisation du culte du dimanche.

    Cela dit, pourquoi comme il est précisé,
    La colombe en bas de page note « littéralement : au jour seigneurial ou dominical. Cet adjectif désigne en grec moderne le dimanche », et tu dis Le problème, c’est que Jean ne parlait pas le grec moderne que nous employons aujourd’hui.
    Alors que veut dire vraiment ce mot en grec ancien ?
    Si je m’en tiens au dernier commentaire (Julienchretien) : En gr. « le jour du Seigneur » (« le jour de l’Eternel » en hébr.) est hè hèméra tou Kuriou, tandis que « le jour dominical » est hè kuriakè hèméra.
    Pourquoi c’est écrit kuriakè et non pas Kuriou ?
    Quelle est donc la traduction originale de kuriakè ? (je n’ai aucune notion de grec).
    Merci en tout cas pour tes articles qui nous font repenser l’origine des textes et le danger d’ajouter notre interprétation.
    (D’ailleurs j’y pense, même Darby si littéral, traduit par dimanche, alors ?…)

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    • Julienchrétien

      Bonjour, suite à quelque recherche supplémentaire, voici quelque indice de plus

      Deissmann a prouvé (Bible Studies, p. 217f ; Lumière, etc., p. 357ff) à partir des inscriptions et papyrus que le mot (Grk : kuriakos, Strongs : G2960) était d’usage courant pour le sens « impérial » comme finance impériale et trésor impérial et des papyrus et ostraca que (Grk : heemera, Strongs : G2250) (Grk : Sebastee, Strongs : G4575) (Augustus Day) était le premier jour de chaque mois, jour de l’empereur au cours duquel les paiements en argent étaient effectués (cf. 1Cor. 16:1f ). Il était donc facile pour les chrétiens de prendre ce terme, déjà en usage, et de l’appliquer au premier jour de la semaine dans l’honneur du Seigneur Jésus-Christ résurrection ce jour-là (Didache 14,Ignace Magn. 9). 129

      Robertson, Les images de Robertson en six volumes ,Rév. 1:10.

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