22 février 2025
Alexandre Nanot

Genèse 39.7 : La femme de Potiphar

1. Introduction

L’histoire de Joseph est l’une des plus passionnantes. Elle l’est très certainement parce que c’est l’une de celle dont nous disposons le plus d’éléments. Sur les 50 chapitres qui composent le livre de la Genèse, les 13 derniers sont liés à ce personnage biblique.

L’histoire commence ainsi : Joseph avait 17 ans lorsqu’il fut vendu par ses frères. On le fit descendre en Égypte, là même où il sera vendu à Potiphar. Le Séder Olam1 indique que Joseph a passé un an au service de Potiphar. Puis, après les fausses accusations de la femme de son maître, il est jeté en prison. Dieu décréta dix années d’emprisonnement pour Joseph : une année pour chacun de ses dix frères qu’il avait calomniés auprès de son père Jacob. Deux autres années supplémentaires vinrent s’ajouter, car il avait mis l’espoir de sa libération dans le maître échanson au lieu de mettre sa confiance en Dieu. Après 13 ans d’esclavage, Joseph va connaître une ascension fulgurante. D’esclave qu’il était, il va être nommé Premier Ministre de l’Égypte, et ce, grâce à l’intervention de Dieu qui va lui donner la capacité d’interpréter les deux rêves du Pharaon, mais aussi, par une parole de sagesse, donner des consignes à suivre pour anticiper la crise à venir. Joseph a 30 ans lorsqu’il se présente devant Pharaon (Gn 41.36).

Arrêtons-nous un instant sur un détail de lecture. Joseph va connaître trois descentes ;
1) Dans la citerne (37.24), 2) en Égypte (39.1) et 3) en prison (39.20). Puis, son ascension (41.14) sera soudaine ; de condition d’esclave, il devient premier ministre d’Égypte. En cela, Joseph est considéré comme un type du Christ. Il y a bien des similitudes entre sa vie et celle de Jésus, dont ce parallèle des trois descentes que Jésus lui aussi va connaître ;
1) De la gloire (le ciel) à l’incarnation (la terre) – voir le Prologue de Jean (Jn 1.1-18).
2) On l’a descendu de la croix (Marc 15.46)
3) Il est descendu dans le séjour des morts, comme le dit le Symbole des Apôtres : « est mort et a été enseveli, est descendu dans les régions inférieures ». (Eph 4.9)
Tout comme le parcours de Joseph, le passage de la kénose de Philippiens 2.9 montre l’abaissement de Jésus, son humiliation, sa mort, son ascension et sa glorification.

1. Le Seder Olam (litt. Ordre du monde) est un traité rabbinique datant du IIe siècle qui traite de la chronologie biblique et juive. 

2. Potiphar

A présent, venons-en au sujet qui nous concerne, à savoir celui de ce personnage mystérieux, dont on ne connait même pas le prénom. C’est au chapitre 39 qu’il nous est parlé d’une femme, une femme d’une grande beauté paraît-il, mais…dont le mari était eunuque. Cela est mentionné à la fin du chapitre 37.

Gn 37.36 : Et les Madianites le vendirent en Égypte à Potiphar, officier (eunuque) de Pharaon, chef des gardes.

Sur les deux termes employés au sujet de Potiphar, le premier mot, souvent traduit par « Officier » se dit en hébreu סָרִיס, mais peut aussi être rendu par traduit par eunuque. On le trouve aussi employé comme titre pour l’échanson et le panetier (Gn 40.2). Il est fort probable que Potiphar eut été eunuque pour servir Pharaon, ce qui pourrait expliquer l’attitude de sa femme à l’égard de Joseph. Officier et eunuque, un personnage puissant socialement, mais personnellement impuissant. Potiphar est composé de Poti-Phéra : Poti, le mutilé.

L’autre terme est « Chef des gardes » טַבָּח – garde, bourreau, boucher. Le mot tavah signifie égorger. Josy Eisenberg fait le rapprochement entre Potiphar, eunuque qui ne peut plus donner la vie, mais peut aisément supprimer celle des autres.

Extrait du Targum Yohanan Ben Uziel (Add. 27.31) :

  1. Joseph fut donc emmené en Égypte. Putiphar, (qui) était dignitaire de Pharaon et chef des bourreaux, homme égyptien, l’acheta sur gages aux Arabes qui l’avaient emmené là-bas. Il avait remarqué en effet qu’il était beau et il voulait s’adonner avec lui à la sodomie. Mais aussitôt un décret (divin) fut pris contre lui : ses testicules se desséchèrent, si bien qu’il devint eunuque.

3. Le pain qu’il mangeait

Passons à un autre détails. Il nous est dit que Potiphar laissa entre les mains de Joseph tout ce qui lui appartenait excepté …et là, il y a différentes traductions comme « d’autre soin que celui de prendre sa nourriture » (Segond 1910), « si ce n’est des aliments qu’il prenait » (Bible annotée), « en sorte que son maître n’avait d’autre soin que de se mettre à table et de manger, s’étant déchargé de tout sur Joseph. » (Sacy). Or, le texte hébreu dit littéralement : « sauf le pain qu’il mangeait » ce qui nous renvoie au v.9 où Joseph répliquera face aux insistances de cette femme : « il n’y a personne de plus grand que moi dans cette maison, et il ne m’a rien interdit, sauf toi, parce que tu es sa femme ». 

Nous pouvons donc comprendre que le pain dont il est question ici est un euphémisme pour désigner la femme de quelqu’un. Pour ce détail, il est intéressant de consulter le Targum Yohanan Ben Uziel (YBU) dit : « Il abandonna tout de ce qui lui appartenait dans la main de Joseph et, avec lui, il ne connaissait plus rien sauf sa femme avec qui il couchait. »

4. Les offensives d’une femme fatale

Le verset 7 nous dit : La femme de son maître posa les yeux sur Joseph. On retrouve ce même verbe au sujet de Isaac et Rebecca (Gn 24.63-64). Cela veut dire que notre attention est portée sur quelque chose.

Or, Joseph était beau de forme et beau à voir. (Gn 39.6). Cette expression est appliquée à Rebecca et Rachel. Elles étaient, tout comme Joseph, d’une très grande beauté (Gn 24.16 ; 26.7 ; 29.17). Le Midrash nous dit que lorsqu’il s’est vu le superviseur de son maître, il s’est mis à manger, à boire et à se soigner les cheveux. Alors le Saint béni soit-Il lui a dit : « Ton père est en deuil, et toi tu te soignes les cheveux ! Je vais lancer une « ourse » [la femme de Potiphar] à tes trousses ! » (Midrach tan‘houma 8).

On trouve un autre commentaire au sujet de la beauté de Joseph :
« Joseph était alors dans la force de l’âge et la femme de Potiphar s’efforça de le séduire : elle changeait de robe trois fois par jour pour attirer son attention, mais sans résultat. Un jour, voulant étonner ses amies à qui elle avait parlé de la beauté de son serviteur, elle leur donna à toutes des cédrats à éplucher, puis sonna Joseph. À sa vue, toutes les femmes étonnées et fascinées se coupèrent les doigts. Vous voyez, leur dit-elle ! Et encore, vous ne l’avez aperçu qu’un instant ! Or, moi qui l’ai devant les yeux toute la journée, comment puis-je rester insensible à son charme ? Et pourtant, malgré toutes les insistances, malgré toutes les ruses de la femme de Potiphar, Joseph sut rester ferme et refuser ses avances. » (Une règle de vie, vol.1 Genèse, Jean Schwarz, p.326)

5. L’ultime assaut

Lecture

Genèse 39. 11 : Et c’est, un de ces jours, qu’il se rendit à la maison pour faire son travail, et pas un seul homme des hommes de la maison n’était présent dans la maison.
12 Et elle le saisit par son vêtement, en disant : Couche avec moi ! Et il abandonna son vêtement dans sa main, s’enfuit et sortit dehors.

Ce fut, ce jour-là.  C’est-à-dire : Lorsqu’il arriva un jour particulier, un jour de liesse, un jour de fête païenne où ils allaient tous adorer leurs idoles, elle s’est dit : « Aucun jour n’est plus propice que celui-ci pour me rapprocher de Yossef ». Elle a prétexté qu’elle était malade pour ne pas y aller (Sota 36b)

Extrait du Targum Yohanan Ben Uziel (Add. 27.31) :

Genèse 39.12. Elle l’attrapa par son vêtement, en disant : « Couche avec moi ! » Mais il laissa son  vêtement dans sa main et il sortit dans la rue. 
13. Quand elle vit qu’il avait laissé son vêtement dans sa main et qu’il était sorti dans la rue,
14. elle jeta du blanc d’œuf sur le lit ; puis elle appela les gens de la maison et dit : Voyez l’épanchement séminal que celui-là a répandu, l’homme hébreu que votre maître nous a amené pour s’amuser de nous. Il est entré chez moi pour coucher avec moi, mais j’ai appelé à grands cris.
15. Quand il a entendu que j’élevais la voix et appelais, il a laissé auprès de moi son vêtement et il est sorti dans la rue. » 
16. Elle déposa son vêtement à côté d’elle jusqu’à ce que son maître rentre à la maison. 
17. Elle lui parla alors en ces termes, en disant : « L’esclave hébreu que tu nous as amené est entré chez moi pour s’amuser de moi. 
18. Mais il s’est passé que lorsque j’ai élevé la voix et me suis mise à appeler, il a laissé son vêtement auprès de moi et est sorti dans la rue. » 
19. Lorsque son maître eut entendu les propos que lui adressait sa femme, en disant : Telles sont les choses que m’a faites ton esclave », sa colère s’enflamma. 
20. Le maître de Joseph prit conseil des prêtres (païens) qui établirent qu’il s’agissait de blanc (d’œuf). Il ne le fit donc point exécuter, mais il le jeta dans la geôle, l’endroit où étaient attachés les détenus du roi. Et il resta là, dans la geôle. 
21. Or la Parole de Yahvé vint en aide à Joseph et lui témoigna de la faveur. Il fit qu’il trouva compassion aux yeux du chef de la geôle.

6. La sentence injuste

A deux reprises, la femme de Potiphar va rapporter la même expression qui peut sembler étrange au lecteur. Cet hébreu est venu pour se rire de nous ! Doit-on comprendre que Joseph est venu pour se moquer d’eux ? En fait, il s’agit là d’un euphémisme

La première fois au v.14 : Voyez ! Il a fait venir un homme – un hébreu – vers nous pour se rire de nous. Il est venu vers moi pour coucher avec moi, mais j’ai crié à grande voix.

Et la seconde au v.17 lorsque son mari arrive :  Il est venu vers moi, le serviteur – l’hébreu – que tu nous a fait venir pour se rire de moi.

Ce verbe traduit par rire se dit en hébreu  מְצַחֵק – Metsareq et peut se comprendre de plusieurs façons :
1) s’amuser (letsa’héq), dans le sens de connotation de débauche sexuelle, comme il est écrit « Pour se rire (letsa’héq) de moi » (Gn 39.17)
2) une connotation de meurtre, comme il est écrit : « Que les jeunes gens se lèvent et qu’ils s’amusent (wissa’haqou) devant nous ! » (2 Sm 2.4)
3) l’idolâtrie, ainsi qu’il est écrit [à propos du veau d’or] : « Ils se sont livrés à des réjouissances qui entraîne la débauche (letsa’heq) » (Ex 32.6).

7. La récompense de Joseph

Comme nous l’avons dit, l’ascension de Joseph a été fulgurante. Du jour au lendemain, il se retrouve d’esclave à Premier ministre d’Égypte. Il aura dût apprendre la patience, au prix de la souffrance et de l’abandon. Mais que semblait vouloir faire Dieu au travers de cette épreuve, de toutes ces longues années, treize longues années à être esclave et prisonnier. La réponse se trouve dans le Psaume 105 :

17. Il envoya un homme devant eux : Joseph fut vendu comme esclave.
18. On lui serra les pieds dans les ceps, son âme entra dans les fers,
19. jusqu’au temps où arriva ce qu’il avait dit : la parole de l’Éternel l’éprouva.

Dieu le préparait au poste qu’il allait occuper, mais pour cela, il avait besoin d’être éprouvé, d’être épuré au feu, le feu de l’épreuve, que peu supportent malheureusement. C’est pour cela que beaucoup abandonnent. La Parole de Dieu l’éprouva –  tsaraph צָרַף – le purifia pourrait-on aussi traduire. C’est l’idée de trier, d’épurer, de passer au feu pour ôter les scories. Joseph avait besoin d’apprendre et, tout comme l’auteur de la lettre aux Hébreux qui, parlant de Jésus dans son incarnation, a écrit : Il a appris, bien qu’il fût Fils, l’obéissance par les choses qu’il a souffertes…(Hb 5.8)

Oui, la souffrance est un moyen employé pour nous amener à l’obéissance et Joseph ne l’a pas compris tout de suite. Certainement qu’il devait pendant tout le temps se poser des questions, loin de sa famille, treize années durant. Treize années à se demander : Qu’ai-je bien pu faire ? Pourquoi moi, qu’est-ce que j’ai fait pour en arriver là ? On imagine bien qu’une fois établi à son poste d’autorité et de gouvernance, il a dû repenser à toutes ces années et il a considéré que Dieu était bel et bien derrière tout ça. Rien ne lui échappait. Dieu le préparait. 

Mais revenons à Joseph. Il est à présent opérationnel pour sa mission. Établi comme souverain sur le pays d’Égypte et voilà que Pharaon va lui faire des présents.Ils sont énumérés un peu comme ceux que le père offre à son fils dans la Parabole de Luc 15.

Les présents offerts à Joseph

Genèse 41.42 :  Pharaon ôta l’anneau de sa main et le mit à la main de Joseph ; il le fit revêtir d’habits de fin lin, et lui mit un collier d’or au cou. Il le fit monter sur le second de ses chars, et on criait devant lui : « À genoux ! » C’est ainsi qu’il fut établi sur tout le pays d’Égypte.

Tous ces cadeaux sont en quelque sorte des récompenses. Ils sont à mettre en relation avec les tentations auxquelles il a du faire face. C’est ainsi que chaque membre du corps de Joseph, qui a fui ou qui a résisté devant les avances de la femme de Potiphar, a été récompensé. On trouve ce commentaire dans le Midrach Rabba Beréchit 20,3 : « sa bouche  (qui n’a pas embrassé cette femme) donnera des ordres à tous les Égyptiens ; son corps (qu’il n’a pas touché) sera revêtu de vêtements royaux de lin ; son cou (il n’a pas penché ses yeux vers sa poitrine) sera paré d’un collier royal en or ; sa main (qui ne l’a pas saisie) recevra l’anneau royal de Pharaon ; ses pieds (qui n’ont point couru vers le mal) monteront dans le char royal. »

Qui mérite vraiment le titre de héros ? – Celui qui sait maîtriser sa passion. Joseph en est un bel exemple. Les sages d’Israël disent : Pourquoi les animaux sauvages n’ont pas touché Joseph et Daniel ?
Voyons ce verset de Gn 37.24 : Ils le prirent et le jetèrent dans la citerne ; or la citerne était vide : il n’y avait point d’eau dedans. La Torah dit que la citerne était vide et ajoute qu’il n’y avait pas d’eau. Pourquoi ? Justement, comme il n’y avait point d’eau, il y avait à la place des serpents et des scorpions. Ses frères ne voulaient pas porter eux-mêmes la main sur lui pour répandre son sang, mais s’il avait été mordu ou piqué à la mort, ça les auraient arrangé. Mais aucun animal ne l’a touché. Il en est de même pour Daniel dans la fosse aux lions, ces lions qui devaient être affamés, privés depuis de nourriture depuis 2 jours. Pourtant, là encore, aucun des fauves ne l’a touché. Bien sûr, Dieu avait sa main sur eux, mais les sages enseignent aussi que, comme ils étaient tous les deux “clean” — propre au niveau de leur organe sexuel, qu’ils ne faisaient pas n’importe quoi avec, et avait du respect pour la semence, les animaux voyant cela, n’ont pas pu les toucher selon ce qui est dit à Noé Gn 9.2 : Et vous serez un sujet de crainte et de frayeur pour tout animal de la terre.

Quelqu’un qui est sérieux, propre au niveau de sa mila, les animaux le voient et cela leur inspire le respect et c’est valable spirituellement. Quelqu’un qui est “clean” avec la semence, acquiert une autorité et ça se voit, ca s’entend et ça se ressent.

Dans la tradition juive, Joseph porte le titre de « Juste » – Yoseph HaTsadiq comme ils disent. Mais pourquoi ? Le Tsadiq est celui qui, face à la pression qu’exerce le monde et ses tentations, va tenir ferme et résister quoi qu’il en coûte, et ce sont de tels hommes qu’il nous faut voir se lever en ces temps.

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