11 avril 2022
Alexandre Nanot

Le Benedictus de Luc 1.68-79

 

Le cantique de Zacharie est appelé le Benedictus. Cela vient du premier verbe que l’on trouve dans la Bible latine. Mais il peut aussi faire référence à l’acclamation de la foule lors de l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem. Matthieu et Luc sont les deux seuls évangélistes à évoquer la naissance et l’enfance de Jésus.
Luc est beaucoup plus riche en détails. Rien que le chapitre 1 contient à lui seul 80 versets, ce qui fait le chapitre le plus long de tout le Nouveau Testament et ajouter le chapitre 2, ça nous fait 132 versets sur l’enfance de Jésus.

Luc a cherché à imposer en premier lieu la naissance miraculeuse de Jean Baptiste, né d’un couple très âgé et dont la femme était stérile. L’espoir d’avoir un fils leur était passé. Ils s’étaient fait une raison. Mais l’ange dit à Zacharie, alors qu’il officie dans le temple : Ta prière a été exaucée, et ta femme Élisabeth t’enfantera un fils, et tu l’appelleras de son nom : Jean.
De quelle prière parle-t-il ? Certainement pas celle de la veille. Mais comme ce fut le cas de Corneille, Dieu a entendu les prières et en son temps, elles trouvent leur exaucement. Quel choc pour Zacharie, et comment ne pas douter ? La suite du récit nous montrera qu’effectivement Rien n’est impossible à Dieu. Cette déclaration résonne comme un écho de la situation de Sara et Abraham en ayant Isaac.

La Parole de Dieu est comme une semence qui, une fois en terre, va produire son effet. Oui cette Parole divine a vaincu la stérilité et la ménopause. Quelques mois ont passé et voilà Élisabeth enceinte de 6 mois. A ce moment là, selon le timing de Dieu, ce même ange Gabriel est envoyé à nouveau, mais cette fois vers une jeune femme vierge appelé Marie. C’est elle qui doit mettre au monde l’héritier du trône de David, du roi-messie. Quel honneur pour elle mais comment cela peut-il se faire, vu qu’aucun homme ne l’a connu ? C’est l’Esprit-Saint qui, venant sur elle, la puissance du Très-haut la couvrira de son ombre. Voilà encore un miracle. Luc insiste dès le premier chapitre sur le caractère miraculeux de son évangile. A Dieu, rien n’est impossible !

Venons-en aux trois cantiques que Luc nous rapporte dans ses deux premiers chapitres. Nous trouvons le Benedictus ou cantique de Zacharie (Luc 1.67-80), le cantique de Siméon – Nunc dimittis (Luc 2.29-32) et le Magnificat ou cantique de Marie (Luc 1.46-55).

Arrêtons-nous sur celui de Zacharie. Ce Zacharie qui a douté de la parole de Gabriel va être privé de la parole depuis ce moment jusqu’au 8ème jour, celui où l’enfant doit être circoncis et nommé par son père. Zacharie lui donne le nom que l’ange lui a confié : Jean qui se dit Yohanan et qui signifie Dieu fait grâce (Yoh/Yah diminutif de Yahwé/Dieu et ana/grâce).
Dès qu’il prononce le prénom, sa bouche s’ouvre et sa langue se délie et saisis par l’esprit prophétique, il va entonner ce cantique. Ce n’est pas de lui-même qu’il va dire ces choses, mais c’est parce que l’Esprit le saisit qu’il va pouvoir proclamer des mystères qui étaient cachés et annoncer la venue du Libérateur.

67. Et Zacharie son père fut rempli de l’Esprit Saint, et il prophétisa, en disant : 
68. Béni soit le Seigneur, Dieu d’Israël, de ce qu’il est intervenu 
en faveur de son peuple et pour le délivrer ; 
69. et il a suscité une corne de salut pour nous, dans la maison de David, son serviteur, 
70. comme il a été dit par la bouche de ses saints prophètes, de tout temps,
71. pour nous sauver de nos ennemis et de la main de tous ceux qui nous haïssent, 
72. pour manifester sa bonté envers nos pères, et pour se souvenir de son alliance sainte, 
73. du serment qu’il a juré à Avraham notre père,de nous donner –
après que nous serions délivrés de la main de nos ennemis – de le servir  sans crainte, 
75. dans la sainteté et dans la justice devant sa face [tous les jours de notre vie].
76. Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut (El Elyon) ; 
car tu marcheras devant la face du Seigneur pour préparer ses voies, 
77. pour donner la connaissance du salut à son peuple par la rémission de leurs péchés, 
78. dans les entrailles de la bonté de notre Dieu, par lesquelles, il va venir nous visiter : 
Celui qui se lève de l’orient [le germe qui vient] d’en haut, 
79. pour briller sur ceux qui [sont] dans les ténèbres et qui sont assis dans l’ombre de la mort ; 
pour conduire nos pieds sur la route de la paix. 
80. Et le petit enfant grandissait et il se fortifiait dans l’Esprit. Et il fut dans les déserts, jusqu’au jour où il se manifesta en Israël.

Ce cantique peut se découper en deux strophes (68 à 75). La première concerne visiblement le sauveur tant attendu par Israël, le descendant de David à savoir le Messie Jésus.

La deuxième (76-77) concerne bien évidemment Jean-Baptiste et sa mission de préparer la voie du Messie. Le deux derniers versets (78-79) concernent l’impact qu’aura la venue du Messie. Il est surprenant de voir que Zacharie commence à parler du Messie alors qu’il est question de la naissance de son propre fils et qu’ à ce moment-là, Marie n’en est qu’à son 4ème mois.

Comme l’a fort bien constaté la Sœur Jeanne D’arc, ce cantique lorsqu’on le regarde de plus près laisse apparaître une symétrie concentrique dont voici l’analyse :

Ensuite, nous trouvons au v.69 une expression typiquement hébraïque quand il s’agit de parler du Sauveur issu de la maison de David qui délivrera le peuple de ses ennemis ET de ceux qui les haïssent, puis de renouer l’alliance sainte conclue avec Abraham. Selon les traductions, nous trouvons shophar du salut (CHOU) ou une corne de délivrance (DARBY) mais la majorité des traducteurs modernes rendent par un puissant Sauveur. On sent bien là dans cette expression le substrat hébraïque sous le texte grec de Luc qui fait dire à certains exégètes tels que l’abbé Carmignac ou Claude Tresmontant que les évangiles ont été premièrement pensés et écrits en hébreu, puis le traduisant en suivant le texte hébreu, Loisy appelle cela un grec sémitisant. 

La Vulgate traduisit cornu salutis car le grec dit bien κέρας σωτηρίας – corne de salut.

La corne dans le langage biblique exprime la force, la puissance. Elle fait référence à la corne d’un animal comme le bouc, là où réside sa force. Il n’y a qu’ à lire Daniel pour se rendre compte à quel point ce mot est présent, ainsi que l’Apocalypse (ch.13 et 17). La corne est souvent employée pour désigner le Roi-Messie (1 Sm 2.10 ; Ps 132.17)
Il est intéressant de noter que dans le passage où Abraham va offrir son fils en sacrifice, on voit le bouc qui est pris par les cornes dans une arbuste, comme privé de sa puissance. Une belle image du Fils de Dieu qui, volontairement, va se livrer en sacrifice, renonçant à sa force.

Ensuite, je reprendrais le travail de Jean Carmignac dans son livre : La Naissance des évangiles synoptiques. Le Benedictus se compose de trois strophes ayant chacune sept stiques : 

la première commence par la formule biblique et qumrânienne : 

Béni (soit) le Seigneur le Dieu d’Israël ; 

la troisième commence, comme souvent à Qumrân, par un pronom personnel : 

Et toi, enfant ; 

la seconde a pour premier stique : faire miséricorde avec nos pères, où l’expression faire miséricorde traduit le verbe hânan, qui est la racine de Yôhânân (= Jean) ;

Puis vient le second stique : et se souvenir de son alliance sainte, où se souvenir traduit le verbe zâkar, qui est la racine de Zâkâryâh (= Zacharie) ; 

puis le troisième stique : serment qu’il a juré vers Avraham notre père, emploie sous deux formes différentes la racine shâva (jurer, prêter serment), qui est la racine de Elishâva’at (= Elisabeth).

Est-ce là un hasard que la seconde strophe de ce poème commence par une triple allusion aux noms des trois protagonistes : Jean, Zacharie, Elisabeth ? Cette évocation n’existe qu’en hébreu et la traduction grecque ou française ne la conserve pas. 

C’est pourquoi, lire dans l’original permet de saisir de choses que dès lors que l’on traduit, il y a forcément une déperdition.

Un autre détail de traduction se trouve en  Luc 22.15 : J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir. Nous avons là un genre typique en hébreu, par exemple quand dans un mot, on trouve deux consonnes côte à côte, c’est pour exprimer une intensité, comme pour insister. Il en est de même pour les verbes comme dans ce passage. Voir aussi Luc 2.9 ; ou Marc 13.20 : ἀλλὰ διὰ τοὺς ἐκλεκτοὺς οὓς ἐξελέξατο ἐκολόβωσεν τὰς ἡμέρα et Genèse 27.33 parmi tant d’autre.

Oui, le Benedictus est bien un chant d’espérance. Dieu n’a pas oublié son peuple et il nous faut lire et relire ce cantique qui ranime l’espoir et annonce que bientôt, très bientôt le Soleil de la Justice apparaîtra avec éclat.

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