9 avril 2019
Alexandre Nanot

Les euphémismes dans la Bible

Un mot d’introduction

L’hébreu a ses propres idiomes et ses euphémismes que l’on retrouve à travers toute la Bible. Les destinataires de l’époque, ceux à qui les textes saints étaient destinés, étaient familiers avec ces expressions. Elles étaient d’usage dans leur quotidien. Selon le mode de traduction employé dans votre bible, ces euphémismes sont restitués tels qu’ils sont dans la langue d’origine ou bien rendus par des expressions compréhensibles au lecteur. C’est là une caractéristique des différences que l’on trouve entre une traduction formelle ou à équivalence dynamique. Les idiomes sont liés à une langue ou à une communauté, ce sont des expressions qui leurs sont propres.

Les idiomes, nous en utilisons tous les jours, comme par exemple « casser les pieds » qui signifie embêter une personne. « Être un moulin à paroles » voudra dire parler tout le temps sans s’arrêter. Dire de quelqu’un qu’il a « le cœur sur la main » c’est dire qu’il est généreux. Ou encore, en disant « fermer les yeux », on comprend pardonner une faute. Quelqu’un écrira : « il pleuvait des cordes ce jour-là »; « j’avais la tête dans le guidon » ; ou encore « je suis tombé dans les pommes ». Si vous traduisiez littéralement en chinois ou en zoulou, imaginez un instant ce que pourrait comprendre le lecteur. L’idéal serait donc de traduire l’expression source, celle de la langue d’origine par une expression de la langue ciblée.

Qu’est-ce qu’un euphémisme ?

L’euphémisme est définit comme étant une figure de style qui consiste à remplacer une expression ou un mot désagréable par une forme atténuée ou adoucie.

Le but étant de cacher l’aspect déplaisant de ce que l’on dit, ce qui équivaut à un déguisement d’idées désagréables. On dira « Son patron l’a remercié hier » pour dire que son patron l’a renvoyé hier.

Chaque langue utilise des euphémismes pour ne pas dire clairement une chose délicate ou déplaisante. On pourrait ainsi dire que l’on va employer une manière plus poétique pour dire une chose inconvenable. Mais les euphémismes sont différents d’une langue à l’autre. Ceux qu’emploie l’hébreu sont différents de ceux qu’utilise le français.

Dans notre langue française par exemple, pour évoquer une personne qui est décédée, nous dirons : « Elle s’en est allée rejoindre les étoiles, elle s’est éteinte » (à l’image de la flamme d’une bougie) ou « il repose en paix » pour dire qu’il est mort. 

Les euphémismes dans la Bible

Le langage biblique utilise principalement les euphémismes quand il s’agit de la mort et de la sexualité. 

Si vous prenez une traduction littérale comme Chouraqui, Osty, ou Darby, vous risquerez de vous heurter à beaucoup d’euphémismes, surtout dans le livre de la Genèse. Mais la plupart des bibles mentionnent, dans les notes en bas de pages, leurs significations. 

Les traductions à équivalence dynamique ont préféré quand à elles, les rendre plus claires, pour éviter que le lecteur ne butte sur des expressions qui lui semblerait parfois énigmatiques.

1. La mort

La première remarque concerne les passages évoquant la mort : la Bible utilise souvent l’expression « aller rejoindre ses pères » ou « se coucher avec ses pères » (2 Rois 15.7). La bible Semeur 1992 est déjà moins poétique mais vise à écarter les euphémismes en rendant par « rejoignit ses ancêtres décédés ». David parlant de sa mort dira à son fils Salomon : « Je m’en vais par le chemin de toute la terre » (1 Rois 2.2) que la FC rend par « Je vais bientôt quitter ce monde », là où la Semeur 1992 par contre suit l’original par « le chemin que suit tout homme ».

Pierre s’exprime ainsi dans la prière avant de tirer au sort celui qui remplacera Juda : il précise que ce dernier est allé à la place qui est la sienne. Sacy dira : « pour marcher en son lieu », là où la Bayard traduira : « dont Judas s’est détourné pour rejoindre son propre rôle », PV : « la place que Judas a désertée pour aller à celle qui lui revient ». Ce n’est pas très clair tout ça, mais Chouraqui mettra en bas de page, en lien à ce verset : « Aller vers son lieu – mourir », et Crampon notera aussi : « expression usitée qui signifie le lieu où l’on va après la mort, le bonheur ou le malheur ».

Jacob ne voulait pas laisser partir en Égypte son dernier fils Benjamin. Car il savait que, s’il perdait ce dernier, ce serait la fin pour lui. Il s’exprime en ces termes : « vous me feriez mourir de chagrin si je perds aussi Benjamin ». Colombe traduit ainsi : « vous ferez descendre mes cheveux blancs au séjour des morts », TOB : « vous feriez descendre misérablement ma tête chenue au séjour des morts », et Parole de vie ne prend pas de détour : « je mourrai de chagrin par votre faute ».

2. La sexualité

Dans la Bible, tout se qui se rapporte aux organes sexuels ou à la nudité est exprimé par des euphémismes. Trois solutions s’offrent alors aux traducteurs :

  • soit traduire littéralement ce que dit l’original, qui pourra parfois être assez cru (bible Chouraqui par exemple)
  • soit par une équivalence dynamique
  • le rendre par un euphémisme équivalent à la langue cible

a. Mettre sa main sous la cuisse

Deux textes dans le livre de la Genèse au ch.-24.2 et ch.-47.29, nous parlent d’une pratique qui, selon les traductions, peut parfois paraître curieuse. En effet, Abraham demande à son serviteur Eléazar de Damas de trouver une épouse pour Isaac dans le pays où vit sa patrie. Abraham le fait jurer en lui demandant de mettre sa main sous sa cuisse, du moins c’est ce que le texte hébreux dit littéralement. C’est ici un euphémisme pour ne pas choquer.

Toutes les bibles traduisent ainsi à l’exception d’une, la Bible Bayard, qui choisit de dire : « Pose ta main sur mon sexe ».

C’est assez clair et pour le coup moins poétique que « de mettre sa main sous la cuisse ». Mais pour bien comprendre, Abraham fait jurer sur le signe de la circoncision, car c’est lié à la promesse que Dieu lui a faite à propos de la terre d’Israël.

Nous retrouvons Jacob qui fait de même avec son fils Joseph : il le fait jurer, en mettant sa main sur le signe de sa circoncision, qu’après sa mort, il sera enterré sur la terre de la promesse.

b. Connaitre quelqu’un

Quand il s’agit d’évoquer les relations sexuelles, là encore la Bible utilise un langage poétique et parfois riche de sens.

Lorsque nous disons que nous connaissons Dieu, nous voulons dire que nous avons une relation privilégiée, personnelle, exclusive avec lui. Voilà donc pourquoi la langue française utilise cette expression « connaître quelqu’un au sens biblique » comme euphémisme pour désigner la relation sexuelle. C’est un idiome typiquement juif pour exprimer la relation sexuelle entre l’homme et la femme. Il est à noter que le verbe peut être employé pour les deux sexes.

Le passage de Gn 19.8 chez la LSG 1910 dit : « Les deux filles de Loth n’avaient pas connu d’hommes », la FC dira : « J’ai deux filles qui sont encore vierges », et Chouraqui de surenchérir : « j’ai deux filles qu’homme n’a pénétrées ».

Prenons le passage de Genèse 4.1 qui nous dit qu’ « Adam connut Eve, sa femme »; comme le traduisent la plupart des versions. Les bibles en langage courant diront : « L’homme s’unit à Eve, sa femme » (PDV, P. de BEAUMONT, Bible des peuples), mais d’autres comme Chouraqui sont beaucoup moins dans la dentelle et y va sans ambages traduisant ainsi : « Adâm pénètre Hava, sa femme ».

L’épisode évoquant les sodomites est lui aussi très cru : « Ils crient vers Lot. Ils lui disent : « Où sont les hommes qui sont venus vers toi cette nuit ? Fais-les sortir vers nous : pénétrons-les » (Gn 19.5). Alors que la bible de JÉRUSALEM va moins loin : « Où sont les hommes qui sont venus chez toi cette nuit ? Amène-les-nous pour que nous en abusions » (idem en Juges 19.22).

Chouraqui traduit quasiment à chaque fois « connaitre » par « pénétrer » et au chapitre 20 du Lévitique, dans sa traduction, nous trouvons le sous-titre « A coucherie de sperme ». Puis est listé toute une série d’interdictions sexuelles où la semence de l’homme ne doit pas être gaspillée en dehors du cadre du mariage ; on y trouve copuler, inceste, débauche et je vous laisse découvrir le v18 et 19, à qui les comprendra.

c. Découvrir la nudité

Dans le ch.18 du livre du Lévitique, Dieu va énumérer à Moïse toutes les interdictions sexuelles dont les Israélites devront se préserver, et ainsi s’enchaine une longue liste qui commence ainsi : « Tu ne découvriras pas la nudité de… ». Il ne s’agit pas simplement de voyeurisme, mais c’est un euphémisme pour dire « avoir une relation sexuelle avec ». NBS traduit par : Tu n’exposeras pas. La S21 : « Tu ne dévoileras pas ». Et la Semeur est plus claire : « Tu n’auras pas de relations sexuelles ».

d. Le chemin des femmes

Vous vous souvenez de l’épisode où Rachel dérobe les téraphim de son père… Ce dernier s ‘empresse de rattraper Jacob et de fouiller tous les bagages pour récupérer ses idoles. Arrivé au niveau de sa fille Rachel, qui les avait caché dans la bardelle du chameau, celle-ci s’excuse auprès de Laban, son père, prétextant « qu’elle a ce qui est ordinaire aux femmes » (LSG 1910). Chouraqui, très littéral traduit sans dénaturer : « Oui, à moi la route des femmes ». Martin 1744 : « car j’ai ce que les femmes ont accoutumé d’avoir ». Alors la question est : qu’est-ce qui est ordinaire aux femmes ? Bayard et NBS sont clairs : « J’ai mes règles », la S21 accommodera en traduisant : « je suis indisposée ».

Nous retrouvons le même exemple avec Sara. Henri Meschonnic, à l’exemple de Chouraqui, rendra le passage par : « Et Avraham et Sarah – ils sont vieux – ils sont venus dans les jours – Elle avait cessé d’être à Sarah la voie des femmes », ou la TOB de rendre par : « Sara avait cessé d’avoir ce qu’ont les femmes ». Bayard rendra par : « Abraham et Sara ont beaucoup vieilli. Sara n’a plus ses règles ». La Parole de vie s’adresse à un public qui ne maîtrise pas forcément bien le français et traduit ainsi : « Abraham et Sara sont vieux, et Sara n’a plus l’âge d’avoir des enfants ».

e. Le viol

La Bible relate deux épisodes de viol ; celui de Dina et de Tamar. Et l’on pourrait évoquer aussi le cauchemar de la Sulamite du Cantique des Cantiques. 

Passage de 2 Samuel 13.14 – la S21 dit : « Il se montra plus fort qu’elle et il la viola, il coucha avec elle », là où Segond traduit par : « il lui fit violence, la déshonora et coucha avec elle ». Chouraqui dira : « il l’étreint, la violente et couche avec elle ». Bayard rend ainsi : « mais lui, sans rien vouloir entendre, la maitrisa et la viola ». La NBS : « comme il était plus fort qu’elle, il abusa d’elle ; ainsi il coucha avec elle ».

PAssage de Genèse 34.2 – la Bible annotee dit : « Sichem, fils de Hémor, le Hévien, prince du pays, la vit, l’enleva, coucha avec elle et lui fit violence ». LA S21 dit : « il l’enleva et coucha avec elle, il la viola ». Darby dit : « La vit, et la prit, et coucha avec elle et l’humilia », La NBS dit : « la vit, la prit et coucha avec elle ; il abusa d’elle ».

f. Se couvrir les pieds

En français, il existe plusieurs expressions, de la plus soutenue à la plus poétique, pour dire que nous devons aller aux toilettes. Pas besoin de vous demander pour quoi faire ; simplement de dire le lieu où vous vous rendez et l’on en connait la raison. L’hébreu a lui aussi son euphémisme pour évoquer l’action de satisfaire un besoin naturel, expression que l’on retrouve deux fois dans la bible dans le livre des Juges 3.24 et dans le 1er livre de Samuel 24.4 :

« Saül y entra pour se couvrir les pieds » (Colombe), ou « il entra pour satisfaire un besoin naturel » (S21). Si vous trouvez l’expression « se couvrir les pieds », vous avez une traduction littérale. Bayard, dans Juges 3.24 ose traduire ainsi : « Sans doute est-il en train de baisser sa culotte dans la chambre fraiche », là où la Parole de vie rend légèrement par : « Ils pensent que le roi se soulage à l’intérieur ». Semeur rend ainsi ce passage par : « le roi était en train de faire ses besoins », et enfin presque toutes les versions protestantes d’avant le XVIIIe rendent par « Sans doute il est à ses affaires dans sa chambre d’été ».

g. Les toilettes

Le Passage de Marc 7.19 : « puis s’en va dans les lieux secrets » (LSG 1910) ; « en effet, cela n’entre pas dans son cœur, mais dans son ventre, puis est évacué dans les toilettes » (S21) ; « cela ne va pas au cœur, mais au ventre, et finit sur le fumier » (bible des peuples) ; « avant de s’en aller aux latrines » (NBS) ; « est évacué par les voies naturelles » (Semeur) . Même utilisation chez PV de Kuen, « et sort lorsqu’on va à la selle » (Pirot-Clamer) ainsi que la Bayard qui utilise la même expression.

h. La génération de Noé

Au chapitre 6 du livre de la Genèse, deux caractéristiques sont mentionnées au v.11 et 12 : « pleine de violence (violence en hébreu se dit Hamas) » ; Et ensuite une expression pas toujours très claire qui dit « qu’elle était pervertie, car toute chair avait une conduite perverse sur la terre » (JER) ou bien chez Segond, « car toute chair avait corrompu sa voie sur la terre ».

Il s’agit d’un euphémisme pour dire que les hommes avaient des relations entre eux, les femmes entre elles, et vraisemblablement les animaux aussi. Cette situation, inacceptable pour Dieu va provoquer le déluge et la destruction de tout ce qui a souffle de vie.

i. Semence en vain

Que dit la Bible au sujet de la masturbation ? Certains vont trouver quelques versets pas très clairs sur le sujet, voire obscurs (Math 5.30, Gen 38.9). Mais le judaïsme utilise un terme beaucoup plus vaste que le simple fait de pratiquer la masturbation. Zera Levatala en hébreu signifie « semence en vain » : dès lors qu’il y a une émission séminale, il y impureté. Le judaïsme considère la Zera Levatala volontaire (adultère, masturbation, toute autre forme qui en finalité provoque une émission), et la Zera Levatala involontaire, moins grave mais interdit (durant le sommeil par exemple) décrite dans le Lévitique 15 v16. Dans les traductions, cela varie énormément, cela va du plus clair au plus obscur.

Semeur dira : « Quand un homme aura un épanchement séminal ». La Bible des peuples est nettement plus claire rendant par « L’homme qui aura un écoulement de sperme », et la S21 va droit au but « L’homme qui aura une éjaculation lavera tout son corps dans l’eau et sera impur jusqu’au soir ».

La question que l’on pourrait se poser est : Pourquoi est-ce que la perte de semence rend elle l’homme impur ? Deutéronome 23.15 décrit l’état d’impureté d’un homme qui, « suite d’une pollution nocturne, il sortira du camp et n’y rentrera pas », là où la Chouraqui traduit par « accident de nuit ». 

Dans l’épisode d’Onan, la TMN2018 rend ainsi : « Mais Onân savait que cette descendance ne serait pas à lui ; voici donc ce qui se produisit : quand il lui arrivait d’avoir des rapports avec la femme de son frère, il laissait le sperme se perdre à terre, pour ne pas donner de descendance à son frère ». La Pléiade traduit par : « il fraudait par terre », et la Bible des Peuples : « il se retirait et se souillait à terre ». Le texte est clair, Onan ne pratiquait pas la masturbation comme l’a prétendu une certaine tradition d’où le terme d’onanisme est dérivé de cette épisode biblique.

Vous l’aurez compris, il y a trahison de la part des interprètes. Samuel Cahen, en 1889 utilisait l’expression « corrompait sa voie (sur la terre) », le même terme qu’en Genèse 6.12.

3. Divers

Élie est envoyé vers Achab suite au crime commis contre Naboth. La sentence de la bouche du prophète envers le roi est terrible : « Je vais te balayer, je vais exterminer tout homme qui appartient à Achab (1 Rois 21.21) ».

Cette expression « tout homme qui appartient » est rendu par Darby : « et je retrancherai d’Achab tous les mâles » ; j’exterminerai d’Israël tous les hommes de ta parenté » (NFC); « le pisseur du mur » (CHOUR); et : « je tuerai tous les mâles de la maison d’Achab (celui qui urine contre une muraille) » (VIGOUROUX).

Une traduction littérale rendra ce que l’hébreu dit d’une manière crue et injurieuse. Le mot employé est Shatan, il désigne comme Chouraqui l’emploi, un pisseur, mais dans la bouche du prophète, c’est parler de quelqu’un qui urine contre un mur, c’est-à-dire tel que le fait un chien. Comparer un homme ou un mâle de la sorte est méprisable pour parler de quelqu’un. Cette expression se trouve six fois dans l’Écriture (1 Sm 25.22 et 34; 1 Rois 14.10,16.11; 1 Rois 21.21; 2 Rois 9.8). Osty et La Pléiade ont gardé une traduction littérale.

Conclusion

En conclusion, comme l’a fort bien écrit Alfred Kuen dans Une Bible… et tant de versions (Emmaüs- 1996) : « Pour traduire les euphémismes, il faut être très attentif à la sensibilité de la langue du destinataire. Il s’agit de trouver ceux qui conviennent sans choquer inutilement, mais aussi sans orienter vers une fausse piste. Pour bien comprendre les euphémismes dans la bible, il est très utile de comparer 3 à 4 versions distinctes. »

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