22 août 2020
Alexandre Nanot

Pourquoi tant de traductions ?

Cet article est dédié à Johanne Viglieno

C’est une question que beaucoup se posent et il convient d’apporter des réponses claires et simples pour ne pas rendre encore plus compliqué quelque chose qui l’est déjà.

Tout d’abord, il conviendrait de classer toutes ces traductions françaises par famille pour y voir un peu plus clair.

Dans ma base de travail, je possède 96 traductions en français. Cela fait beaucoup mais je vous explique pourquoi : Si je prends la Bible de Jérusalem par exemple, nous avons en plus de la première édition en 1955, trois autres révisions : 1973-1998-2000, idem pour la Semeur : 1992-2000-2015 et il en est de même pour la TOB et quelques autres, ce qui explique le chiffre de 96. Je ne vais pas évoquer longuement le classement en huit familles car je l’ai développé dans l’article ci-dessous. Mais pour rappel :

Quand on entreprend un travail de traduction, on se pose d’abord les questions suivantes : Quel est le but qui me pousse à faire une traduction de la Bible ? Quel public est-ce que je vise ? Quelle méthode de traduction vais-je utiliser ? Quel est le texte source sur lequel je vais travailler ? Quels livres inclure dans la bible ? Y insère-t-on des notes ?

Mode de traduction

Il existe 3 modes de traduction : L’équivalence dynamique, l’équivalence formelle ou le compromis entre les deux. Là encore, c’est un choix et c’est une question à laquelle le traducteur doit répondre. Voyons ces termes d’un peu plus près :

Équivalence dynamique ou fonctionnelle : Nom donné à un type de traduction de la bible, par opposition à l’équivalence formelle. L’équivalence formelle cherche à coller au plus près du texte tandis que l’équivalence dynamique cherche à rendre le texte source compréhensible au lecteur. Nous ne sommes plus à proprement parler dans un travail de traduction mais d’interprétation. Cette méthode cherche à privilégier le sens du texte par rapport à sa structure originale. Cette méthode de traduction a été employée entre autre pour la Bible en français courant, la Parole de vie, la Semeur ou la Traduction officielle liturgique.

Équivalence formelle ou littérale : Les versions à correspondance formelle ou littérale sont idéales pour l’étude du texte biblique. Ce travail de traduction cherche à coller le texte au plus près de l’original. Cette méthode de traduction a été employée par Darby qui a été le plus loin dans ce travail ainsi que la Chouraqui ou la Osty.

Exemple : La Parole de Vie fait usage du français fondamental, ce qui limite à 3500 mots environs. Cela convient très facilement aux personnes peu familières avec la langue française ou qui débutent dans son apprentissage. Nous sommes donc très loin d’une traduction formelle ou littérale qui, elle, vise à amener le lecteur le plus proche possible dans la langue source (hbr ou grec). Or, ici, avec l’emploi du français fondamental, on amène le texte source à la portée du lecteur en tenant compte de son contexte. Le lecteur ne doit pas buter sur des mots ou des expressions qui ne font pas partie de son environnement. C’est la même chose pour la Français Courant, la S21, la Semeur, la Synodale.

L’objectif de Darby était de restituer un texte qui soit proche du grec et de l’hébreu tout comme Osty. Mais celui qui a réussi à moins dénaturer la traduction reste André Chouraqui. Il a traduit la bible le plus littéralement possible. Je vous renvoie vers l’article à ce sujet.

Exemple : Job 40 nous parle de deux bêtes qui, en hébreux, se nomment Béhémoth et Léviathan. Ce sont des créatures que l’on retrouve dans l’Apocalypse, l’une qui monte de la mer, l’autre de la terre. Rendre par « crocodile et hippopotame » va influencer le lecteur et limiter l’exégèse du texte. Or, dans le Psaumes 74, le Léviathan est présenté comme une créature qui s’oppose à Dieu.

On pourrait multiplier les exemples comme les Dioscures ou Castor et Pollux, Lilith ou spectre de la nuit.

Choix du texte source

Nous trouvons sur la première page de la bible : TRADUITE SUR LES ORIGINAUX HÉBREUX ET GREC, or ce que nous possédons ne sont que des copies de copies de copies ce qui fait que, d’un manuscrit à un autre, on trouve quelques différences minimes, des erreurs de copistes. Cela concerne principalement les manuscrits du Nouveau Testament. Nous en possédons pas loin de 6 000.

Les spécialistes de la critique textuelle classent en 4 grandes familles les manuscrits du Nouveau Testament : 

  • Alexandrin : Il est représenté surtout par le codex Sinaïticus, Vaticanus et deux papyri importants datés du IIIe siècle P45 et le P53. C’est les plus utilisé pour les traductions modernes. Cependant ils comportent des absences comme Matt 16,2-3; Marc 16,8-20; Luc 22,43-44; Jean 5,4; 7,53-8,11; 21,25; Rom 16,24.
  • Byzantin : appelés aussi le Texte majoritaire, qui représente la plus grande majorité des manuscrits (80 %), dont plus de 5 838 manuscrits grecs existants. Il est représenté par le Codex Alexandrinus A01 pour le NT.
  • Occidental : Le texte est relativement plus long de 8.5%. Il est, quant à lui, représenté par des papyri datant de la fin du IIIème siècle comme le P38 et le P48 mais surtout par le codex de Bezae Cantabrigensis D05.
  • Césaréen : Ces manuscrits ont très certainement été rédigés en Égypte et rapportés à Césarée par Origène.

On trouve généralement au début de chaque bible le texte utilisé comme support de traduction.

Il y a les partisans du texte majoritaire et qui ne jure que par la Martin ou Ostervald. C’est la plus littérale et la plus juste disent-ils ! Mais quand on examine le texte de plus près, il n’en est rien. Sur le classement de l’échelle NALOT, ces deux bibles sont situées dans un compromis entre le littéralisme et l’interprétation.

Solo ou équipe

Vous avez remarqué le titre des bibles ? La Darby, Chouraqui, Ostervald, Segond, Crampon etc. et d’un autre côté vous trouvez la Bible en Français courant, la Bible Bayard ou la bible de Jérusalem… Soit c’est un homme qui entreprend seul sa traduction d’où la bible avec son nom ou bien c’est un collectif et dans ce cas chacun des livres de la bible à traduire est confié à un traducteur. Ce qui fait que d’un livre à l’autre, on ne trouve pas le même style. Cela est particulièrement le cas dans la Nouvelle Bayard. Qu’on le veuille ou non, chaque traduction de la bible est influencée par la sensibilité théologique de celui qui traduit. Nous avons tous nos grilles de lecture, nos convictions religieuses, notre schéma eschatologique, notre position vis-à-vis d’Israël et ça un traducteur (enfin pas tous) ne peut pas en faire abstraction. Il sera forcément conditionné par ça. Nous le verrons plus précisément en ce qui concerne les notes de bible d’étude.

Pourquoi des révisions ?

La langue française ne cesse d’évoluer. Prenez une bible du XVIème ou XVIIIème siècles et vous verrez la difficulté de lecture et de compréhension que vous aurez. Le sens de certains mots a changé. Des tournures grammaticales
n’ont plus cours. La Segond 1910 utilise parfois le passé simple. Imaginez-la dans les mains d’un jeune adolescent quand il lira Deutéronome 1.26 : Mais vous ne voulûtes point y monter, et vous fûtes rebelles à l’ordre de l’Éternel, votre Dieu. Vous murmurâtes dans vos tentes, et vous dîtes… En 1978, la Colombe, qui travailla sur le texte de la 1910, rendra ainsi : Mais vous n’avez pas voulu y monter et vous avez été rebelles à l’ordre de l’Éternel, votre Dieu. Vous avez murmuré dans vos tentes… Il y a donc des révisions liées au temps.

Il faut prendre également en considération l’évolution de la langue et des mots. Des mots qui aujourd’hui sont bien souvent incompréhensibles pour beaucoup, tels que : propitiatoire, opprobre, pusillanime, ignominie et j’en passe, mais voici un exemple :

Hébreux 12.2 : Jésus est appelé «  le chef et le consommateur de la foi « . Le mot consommateur est-il compris dans le sens où nous l’entendons aujourd’hui ? La Colombe traduira par : les yeux fixés sur Jésus, qui est l’auteur de la foi et qui la mène à la perfection.

Les nouvelles découvertes linguistiques, les apports des dernières découvertes archéologiques sont des facteurs qui favorisent les révisions.

Généralement, une bible est révisée tous les 15-20 ans. Tout au moins les bibles qui se font en collectif comme la Semeur, la TOB, la Français Courant, la Jérusalem. La dernière révision de la NFC – Nouvelle français courant – s’est adaptée au courant de la pensée moderne. Par exemple, on ne verra pas : « Frères, je ne veux pas que vous soyez dans l’ignorance » mais « Frères et sœurs« , et cela systématiquement. La NFC est contre les machos !

Et les Bibles d’études

Les bibles d’étude, c’est une autre paire de manche. Chaque maison d’édition a sa bible d’étude. Sachant que chaque maison a sa ligne éditoriale, vous retrouverez dans les notes une orientation théologique, parfois influencée par la théologie du remplacement selon laquelle l’Église a remplacé Israël. Également, une approche charismatique ou non-charismatique et un point de vue eschatologique. Si vous êtes charismatique et que vous lisez les notes sur les charismes dans la bible d’étude de John MacArthur, vous n’adhérerez pas car ne l’étant pas lui-même, ses notes vont dans ce sens. Les notes ne sont que l’interprétation de ce que pense celui qui les écrit. Donc attention là encore !

La Semeur, par exemple, a une orientation amillénariste. L’amillénarisme est un concept eschatologique qui ne conçoit pas le règne millénaire du christ après son retour, car les 1000 ans d’Apocalypse 20.4 est à prendre comme symbolique et non comme quelque chose de littérale. Conséquences : Toutes les notes de prophéties, que ce soit chez Ésaïe ou dans l’Apocalypse et bien d’autres, iront donc dans ce sens.

Les bibles catholiques contiennent les huit apocryphes classiques et les notes ont forcément une théologie et une orientation catholique dans des passages clés tel que Gn3.15, Luc 1.28, Math 16.18 auxquels les protestants ne seraient pas d’accord.

Il est souvent fait mention de bibles contenant les apocryphes (qui ne sont pas diaboliques comme certaines disent). Certes, ils ne sont pas mis au même rang que ceux du canon hébraïque et des 27 livres du Nouveau Testament, mais cependant ils ont un certain intérêt . C’est la bible d’étude TOB 2010 qui a été le plus loin dans ce domaine. Étant une bible visant un public œcuménique, il doit correspondre au public catholique, protestant et orthodoxe. La participation des orthodoxes permet à la TOB d’étoffer son canon. Nous trouvons donc en plus des huit livres apocryphes classiques que les catholiques incluent dans leur canon, des livres deutérocanoniques supplémentaires que seuls les orthodoxes utilisent dans leur liturgie à savoir : 3 et 4 Esdras, 3 et 4 Maccabées, la prière de Manassé, le psaume 151. Vous trouverez donc dans cette bible un total de 81 livres. Ce qui fait de la TOB la bible avec le plus grand nombre de livres. Les notes sont riches et apportent un éclairage vaste qui convient aux trois confessions.

A côté de cela, nous trouvons des bibles d’études plus spécifiques dont les notes sont ciblées. Prenons la S21 dite « Archéo ». Elle vise uniquement tout ce qui tourne autour de l’archéologie, donc aucune orientation théologique. Elle est très utile pour qui veut en savoir plus sur les dernières découvertes et la culture de l’époque. La Bible Esprit et Vie est idéale pour un pentecôtiste, bien que le texte est celui de Segond 1910. Ou alors, vous avez la Bible du Vainqueur, idéale pour les combattants spirituels et charismatiques en quête de sensations fortes. Toutes les bibles d’étude sont présentées sur Bibliorama/Bibles d’étude.

Pour en savoir plus, j’ai fait un article sur les bibles d’étude indispensables :

https://www.bibliorama.org/les-bibles-indispensables-pour-letude/

En conclusion

Pour ceux qui sont las de leur Segond 1910 par la lourdeur du texte et qui souhaiteraient essayer une nouvelle traduction pour rafraîchir leur temps de lecture, je vous conseille la Nouvelle Traduction Bayard dont j’avais fait un coup de cœur en 2019 pour en faire la promotion : https://www.bibliorama.org/le-coup-de-coeur-dalexandre/

Ceux qui veulent creuser un peu plus, investissez dans une Osty ou la Pléiade, ça vaut le coup ! Osez même la Chouraqui, une nouvelle édition est sortie cette année (2020), chez Cerf pour 25€.
Et pour ceux qui veulent offrir une bible en cadeau, je conseille la version SEMEUR 2015 disponible :

https://www.xl6.com/categories/bibles/semeur-2015

Voilà, j’espère que vous en saurez un peu plus. Bonne lecture et bonne méditation !

2 Commentaires

  1. Christian M.

    Merci Alexandre de nous « cartographié à nouveau ce magnifique panorama qui déroule toutes ces différentes versions à travers lesquelles chacun(e) trouvera son bonheur…. Pour ma part je garde précieusement cet article sous le coude ainsi que la règle Nalot dans le cas où je m’egarerai😇

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    • Sylvie

      Merci Alex pour cette « etude » sur les différentes traductions..c’est très intéressant comme habituellement et instructif

      Réponse

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