Alexandre NANOT – 21/11/2025
Information pratique : Les abréviations des traductions bibliques utilisées dans cet article se trouvent en bas de page.
Les traducteurs, dans leur grande majorité, ne font pas la distinction entre le mot grec κόλπος – kolpos et στῆθος – stèthos. Il est généralement traduit dans les deux cas par « le sein ».
Commençons par le premier, stethos, qui désigne la partie du corps, celle que l’on appelle « la poitrine » chez l’homme, mais au sens plus large le thorax, et que l’on désigne par « le sein » chez les femmes. Ce mot ne revient que cinq fois dans le NT. Voyons ces passages :
Luc 18.13 Mais le collecteur d’impôt, qui se tenait à distance, n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ; il se frappait la poitrine (stèthos), en disant : Ô Dieu, sois bienveillant envers moi qui suis pécheur.
Luc 23.48 Et toutes les foules qui s’étaient assemblées pour assister à la scène, ayant vu les choses qui étaient arrivées, s’en retournaient en se frappant la poitrine (stèthos).
Jean 13.25 Celui-ci, s’étant penché contre la poitrine (stèthos) de Jésus, lui dit : Seigneur, qui est-ce ?
Jean 21.20 Pierre, s’étant retourné, vit venir après eux le disciple que Jésus aimait, celui qui, pendant le souper, s’était penché contre la poitrine (stethos) de Jésus, et avait dit : Seigneur, qui est celui qui te livre ?
Apocalypse 15.6 Et les sept anges qui tenaient les sept fléaux sortirent du temple, revêtus d’un lin pur, éclatant, et ayant des ceintures d’or au niveau de la poitrine (stethos).
Nous voyons sans grande difficulté que dans les passages ci-dessus, il est bien question de la poitrine comme étant la partie du corps. Jusque-là, aucun problème.

Voyons à présent le second : Kolpos, qui revient six fois et désigne une cavité, un lieu secret, un renfoncement, c’est l’idée de l’intimité, de la matrice même (l’appareil sexuel féminin). Kolpos, c’est littéralement le vagin en grec. C’est cette partie intérieure, cachée, la partie matriciel du corps de la femme. Il représente, en quelque sorte, un lieu d’accueil, de formation et de passage pour l’accouchement.
Il est traduit comme nous l’avons dit par « dans le sein » ; ce qui n’est pas forcément le mieux adapté, mais encore faudrait-il savoir comment le lecteur, lui, le comprend.
L’expression « être dans le sein (kolpos) de » signifie que l’on est dans une proximité intime, comme l’enfant dans les bras de sa mère, tout contre son sein, cela dénote une relation de confiance, d’affection et d’intimité. On voit déjà la différence qu’il y a entre stèthos et kolpos. L’un désigne le sens propre, et l’autre un sens figuré.
Voyons les quatre premiers emplois de ce mot, nous verrons les deux autres chez Jean ensuite. Kolpos se trouve donc deux fois chez Luc en référence au lieu où est Lazare et une fois dans les Actes pour évoquer une berge dans un renfoncement.
Luc 6.38 Donnez, et il vous sera donné : on versera dans votre sein (kolpos) une bonne mesure, serrée, secouée et qui déborde ; car on vous mesurera avec la mesure dont vous vous serez servis.
Luc 16.22 Le pauvre mourut, et il fut porté par les anges dans le sein (kolpos) d’Abraham. Le riche mourut aussi, et il fut enseveli. 23 Dans le séjour des morts, ayant levé les yeux, tandis qu’il était dans les tourments, il vit de loin Abraham et Lazare dans son sein (kolpos). (Pirot-Clamer)
Dans le Hadès, ayant levé les yeux du milieu des tourments, il vit de loin Avraham avec Lazare à ses côtés (kolpos). (NTB)
Actes 27.39 Lorsque le jour fut venu, ils ne reconnurent point la terre ; mais, ayant aperçu un golfe (kolpos) avec une plage, ils résolurent d’y pousser le navire, s’ils le pouvaient.
Chez l’évangéliste Jean, ces deux mots sont employés, mais dans un contexte bien défini, afin d’amener le lecteur vers une autre lecture. Le premier est ce verset 18 qui clôture le Prologue.
Jean 1.18 Personne ne vit jamais Dieu ; le Fils unique, qui est dans le sein (kolpos) du Père, lui, l’a fait connaître. (Darby)
Prenons la Bible Martin pour les deux versets suivants :
Jean 13.23 Or un des Disciples de Jésus, celui que Jésus aimait, était à table en son sein (kolpos).
Jean 13.25 Lui donc, étant penché dans le sein (stethos) de Jésus, lui dit : Seigneur, qui est-ce ?
On voit ici la nuance, mais elle n’est pas, je pense, de taille à éveiller la curiosité du lecteur.
Reprenons le premier verset 23 qui emploie le mot kolpos et voyons quelques traductions qui ont essayé d’exprimer ce que renferme ce kolpos johannique :
S21 : Un des disciples, celui que Jésus aimait, était à table à côté de Jésus.
NFC : L’un des disciples, celui que Jésus aimait, était placé tout à côté de Jésus.
JER : Un de ses disciples, celui que Jésus aimait, se trouvait à table tout contre Jésus.
PEU : Un des disciples, celui que Jésus aimait, était installé juste contre Jésus.
NBS : Un de ses disciples, celui que Jésus aimait, était placé à table contre le sein de Jésus.
Vous voyez la différence entre la S21 qui laisse entendre que le disciple bien-aimé est tout juste placé à table, géographiquement à côté de Jésus. Un peu comme si vous étiez assis à côté de moi en voiture. La NFC et la JER insistent sur la proximité, esquivant un éventuel espace entre les deux, là où la PEU et la NBS vont davantage vers une notion d’intimité dans la proximité. J’ai choisi pour la NTB de traduire ainsi : Or l’un de ses disciples, celui que Jésus aimait, était allongé dans le secret de Jésus.
Enfin, le verset 25 porte le mot stèthos
JER : Celui-ci, se penchant alors vers la poitrine (stèthos) de Jésus, lui dit : Seigneur, qui est-ce ?
OSTY : Celui-ci, se renversant à même la poitrine (stèthos) de Jésus, lui dit : Seigneur, qui est-ce ?
Jean est considéré comme un théologien. Son Évangile est appelé par Clément d’Alexandrie l’Évangile spirituel. Jean veut nous amener sur un autre terrain que celui du récit narratif ou biographique de Jésus des trois premiers évangiles. Lui veut nous amener plus loin, plus haut, il veut nous élever vers une autre interprétation ; une interprétation bien plus spirituelle, qui vient d’en haut, comme nous ; il élève par son prologue. Le kolpos chez Jean a une signification profonde ; ainsi il faut parfois creuser le texte pour en faire ressortir des ressources spirituelles. Nous avons vu dans le prologue que le Logos, qui est le Fils de toute éternité, est dans le kolpos du Père. Il veut dire par là, qu’avant l’incarnation au v.14, le Fils unique est dans la matrice, dans l’intimité, dans le secret, comme j’ai choisi de le traduire dans la NTB. Rappelez-vous tout ce que le kolpos désigne en grec. Il est aussi lié à la fonction de procréation chez la femme, car disons-le, il y a en Dieu autant de masculin que de féminin, et il n’y a pour cela qu’à relire Genèse 1.26-27 : Et Élohim dit : Faisons un Homme à notre ombre, selon notre ressemblance …. Et Élohim créa l’être humain à son image, à l’ombre d’Élohim, il le créa ; masculin et féminin, il les créa. Donc, le premier être a été créé selon l’image de son Créateur, qui lui-même est masculin et féminin, paternel et maternel. Ainsi Jean, dans ce v.18, emploie le kolpos dans le sens du lieu où la vie est engendrée, tissée dans le secret, dans l’intimité et, c’est de cet endroit caché, là où le Fils sera, qu’il lui sera communiqué tout ce qu’il sera à même d’expliquer, car il l’a lui-même expérimenté « de l’intérieur ». Pourquoi Jésus est-il à même de nous expliquer le Père ? Parce qu’il provient de sa matrice. Le dernier verbe du v.18 est ἐξηγέομαι – eksègeomai qui signifie expliquer, raconter, révéler ou faire connaître. Personne d’autre que le Fils ne pouvait mieux nous expliquer le Père.
Maintenant, venons-en au deuxième emploi du kolpos chez Jean.
au v.13 εν τω κολπω – litt. dans le kolpos, et au v.25, επι το στηθος – sur le thorax, plutôt que sur le sein.
Verset 13. Jean se penche ….Non ! non pas Jean, mais le texte nous dit « le disciple que Jésus aimait », or l’identification de ce personnage a fait couler beaucoup d’encre et je ne veux pas m’y attarder ici. Toujours est-il qu’avec l’emploi du mot kolpos, Jean ne s’identifie pas lui-même, mais s’efface sous les traits du « disciple que Jésus aimait ».
Ce disciple que Jésus aimait (agapéo) a, tout comme le Fils au v.18, eu un privilège extraordinaire et quel privilège ! Certainement unique pendant les années de son ministère, personne d’autre n’a pu, n’a eu le privilège d’être dans le kolpos de Jésus.
Jean a eu ce moment privilégié, qui n’a certainement duré que quelques secondes ou quelques minutes, mais qui a pris une dimension intemporelle. Là, sa tête posée contre la poitrine de son Seigneur (v.25) pour y entendre les battements de son cœur, le temps s’était comme arrêté. C’est comme si, durant ce bref instant, il téléchargeait toute la profondeur, toute la richesse de ce qui allait être son Évangile.
Jean avait très certainement 16-18 ans quand il vécu cette expérience, et ce ne sera que 70 ans plus tard qu’il mettra son évangile par écrit. C’est l’évangile de la maturité. Je crois que son évangile est différent des synoptiques parce qu’il a eu l’unique privilège d’être dans le kolpos de Jésus.
À partir de là, qui mieux que lui est à même de nous expliquer la relation du Père et du Fils ? Qui peut dire : « Le Père aime le Fils », s’il ne l’a pas expérimenté lui-même ? Le passage de Jean 5.19-20 par exemple, ne peut donc provenir que de quelqu’un qui a été dans l’intimité du Fils, autrement, on ne peut rapporter ces propos. Ils viennent d’un homme qui a vécu une expérience inoubliable pour nous laisser un Évangile inaltérable.
Je crois que l’homme ou la femme qui a pu goûter une infime expérience que celle d’être dans l’intimité avec Jésus, vivre une sorte de kolpos johannique, verra sa vie et son message avoir une toute autre teneur et profondeur. Cela impactera non seulement sa vie, mais aussi celle de ceux qui le côtoient.
Vous comprenez à présent l’emploi du kolpos johannique et toute la richesse qu’il renferme. Mais ce lien-là, nous ne pouvons le faire que si la traduction le permet.
Et pour terminer, je partage quelques remarques des Pères de l’Église :
Irénée (Adv. Haer. III,11,5) : « celui qui est dans le sein (in sinu) du Père » → il emploie sinus qui, en latin, a la même double valence (sein maternel).
Origène (Comm. Jean II,29-30) : développe longuement le κόλπος comme lieu d’engendrement éternel : le Fils est « toujours dans le sein du Père comme le fœtus dans la matrice, mais sans commencement ni fin ». Origène ira jusqu’à dire : « toujours en gestation, toujours naissant ».
Hilaire de Poitiers (De Trinitate III,3) : « in sinu Patris est, id est in secreto naturae paternae » → mais ailleurs il glisse vers l’image de la matrice divine.
Cyrille d’Alexandrie (Comm. Jean I,9) : le plus clair : « ὁ ὢν εἰς τὸν κόλπον = celui qui est tourné vers le sein (μάλιστα δὲ μήτραν) du Père », et il ajoute : « comme l’enfant dans le sein de sa mère, mais éternellement ».
Saint Augustin (Tract. in Joh. 3,1) : « in sinu Patris, id est in secreto Patris, velut in utero Patris » → explicitement « comme dans la matrice du Père ».
Grégoire de Nazianze (Or. 29,17) : « le Fils est tiré des profondeurs mêmes du Père, comme l’enfant du sein de sa mère ».
Abréviations
S21 : Segond 21
PEU : la Bible des Peuples
Osty : Émile Osty
JER : La Bible de Jérusalem
NBS : Nouvelle Bible Segond
NFC : Nouvelle Français Courant
NTB : Nouvelle traduction de la Bible

Bonjour Alexandre
Merci pour ce partage, car il nous permet une meilleure compréhension des textes.
Merci Alexandre pour ce délicieux article qui nous hisse et nous plonge tout à la fois dans les profondeurs du Pere.