17 octobre 2023
Alexandre Nanot

Jules Isaac (1877-1963) : ses 18 propositions pour lutter contre l’antisémitisme.

Qui était Jules Isaac ?

Jules Isaac, historien français, est né le 18 novembre 1877 à Rennes. Il meurt à Aix-en-Provence le 5 septembre 1963. Jules Isaac est principalement connu pour avoir été un des pionniers travaillant à la réconciliation judéo-chrétienne et ce, notamment à travers son livre Jésus et Israël au travers de ses travaux à la conférence de Seelisberg où il présentera 18 points pour lutter contre l’antisémitisme.

Suite à l’affaire Dreyfus qui fait divise la France en deux camps, Jules Isaac s’engage dans le camp dreyfusard avec son ami Charles Peguy. Il survivra durant près de trois ans dans les tranchées pendant la Première Guerre Mondiale, alors que son compagnon Albert Malet meurt au front en 1915.

Alors qu’éclate la Seconde Guerre Mondiale, il est alors âgé de 63 ans en 1940. Il sera révoqué en vertu du statut discriminatoire des Juifs pris par le gouvernement de Vichy : « Il n’était pas admissible, déclare le ministre de l’Éducation et académicien Abel Bonnard le 13 novembre 1942 dans le journal Gringoire, que l’histoire de France soit enseignée aux jeunes Français par un Isaac ».

Il fuira donc et ira se réfugier en zone libre, d’abord à Aix-en-Provence, puis lorsque les Allemands envahissent le Midi en 1942, il s’établit au Chambon-sur-Lignon chez son fils aîné Daniel, professeur au Collège Cévenol. De là, il s’installera alors à Riom, près de sa fille et de son gendre qui tous deux travaillent au Central de l’Agence Havas à Vichy. Impliqués dans un réseau de résistance, ces deux derniers furent arrêtés par la Gestapo à Riom le 7 octobre 1943, ainsi que la femme de Jules Isaac et son fils cadet Jean-Claude. Ils furent déportés par les Allemands à Drancy, puis emmenés en direction Auschwitz. Là, ils seront tous tués, excepté son fils Jean-Claude qui réussit à s’échapper d’un camp en Allemagne. Les derniers mots de sa femme furent : « Mon ami, garde-toi pour nous, aie confiance et finis ton œuvre que le monde attend ! »
Après l’horreur de la guerre, en 1945, Jules Isaac est rétabli dans ses droits comme inspecteur général honoraire.

La réconciliation Judéo-Chrétienne

La Charte de Seelisberg

Jules Isaac consacrera dès lors une grande partie de ses efforts à la recherche des causes de l’antisémitisme. En 1948, il publie Jésus et Israël, qu’il a rédigé pendant la guerre, puis proposera la Charte de Seelisberg. Cofondateur, avec entre autres Edmond Fleg, et actif animateur de l’Amitié judéo-chrétienne en 1947, il s’emploie à combattre en particulier les racines chrétiennes du mal qui, si elles ne sont pas les seules, lui paraissent les plus profondes et encore vivaces dans la seconde moitié du XXe siècle.

Le but de cette charte est surtout de mettre en valeur la nature profondément juive du christianisme primitif. Il participe à la conférence judéo-chrétienne de Seelisberg où il propose avec le grand rabbin Kaplan dix-huit points de redressement de l’enseignement chrétien concernant Israël.

Jules Isaac ne cesse de lutter contre ce qu’il appellera : l’enseignement du mépris. Il dénonce les siècles de catéchèse qui ont persuadé les chrétiens de la perfidie juive et de son caractère satanique, soulignant le lien entre les pratiques de l’antisémitisme chrétien et le système hitlérien. 

Révision de la prière universelle du Vendredi Saint

Le 16 octobre 1949, lors d’une audience au Vatican, il demande à Pie XII la révision de la prière universelle du Vendredi Saint dont l’oraison Oremus et pro perfidis Judaeis (littéralement « Prions aussi pour les Juifs perfides » en latin). Prière qui fut introduite au VIIe siècle et qui comporte des mentions offensantes pour les Juifs. La traduction de perfidis par « perfides » est une simplification du sens réel de ce mot qui ne sous-entend pas l’accusation de « déicide ». Dans la pratique, ces deux thèmes se sont toutefois confondus, et le Vendredi Saint a longtemps été synonyme d’agressions contre les Juifs, voire de massacres. Les pogroms en Russie, en Pologne et ailleurs étaient traditionnellement liés au Vendredi saint.
Il faudra attendre l’année 1959 pour que Jean XXIII fasse supprimer ces mots, avant même que ne fût convoqué en 1962 le Concile de Vatican II.

Nostra Ætate

Le 13 juin 1960, Jules Isaac est reçu en audience par Jean XXIII au cours de laquelle il lui remet un dossier contenant :

  1. Un programme de redressement de l’enseignement chrétien concernant Israël ;
  2. Un exemple de mythe idéologique (la dispersion d’Israël, châtiment providentiel) ;
  3. Des extraits du catéchisme du concile de Trente montrant que l’accusation de déicide est contraire à la saine tradition de l’Église.

Jules Isaac noua une amitié avec Jean XXIII qui eut de l’influence dans la rédaction de la déclaration sur les religions non chrétiennes Nostra Ætate, approuvée en 1965 par le concile Vatican II. La déclaration Nostra Ætate affirme à présent  « que ni les Juifs du temps du Christ, ni les Juifs d’aujourd’hui ne peuvent être considérés comme plus responsables de la mort de Jésus que les Romains ou les chrétiens eux-mêmes. »

Selon Philippe Chenaux, la nouveauté de Nostra Ætate réside surtout dans la reconnaissance des racines juives de la foi chrétienne. La théologie de la substitution (l’Église comme novus Israël) laisse la place à une théologie de la filiation et de l’enracinement

Jules Isaac meut le 5 septembre 1963 à Aix-en-Provence, il sera inhumé cinq jours plus tard dans le cimetière du Montparnasse à Paris (30ᵉ division).

Ses principales œuvres

  • Paradoxe sur la science homicide et autres hérésies, Rieder, 1936
  • Jésus et Israël, 1948
  • Genèse de l’antisémitisme, essai historique, Paris : Callmann-Lévy, 1956 ; réédité en 1985
  • L’antisémitisme a-t-il des racines chrétiennes ?, Paris : Fasquelle, 1960
  • L’Enseignement du mépris, 1962

Ses 18 propositions pour lutter contre l’antisémitisme (Seelisberg, 1947)

Un enseignement chrétien digne de ce nom devrait :

1. Donner à tous les chrétiens une connaissance au moins élémentaire de l’Ancien Testament, insister sur le fait que l’Ancien Testament, essentiellement sémitique -fond et forme- était l’écriture sainte des Juifs, avant de devenir l’écriture sainte des Chrétiens ;

2. Rappeler qu’une grande partie de la liturgie chrétienne lui est empruntée ; et que l’Ancien Testament, œuvre du génie juif (éclairé par Dieu) a été jusqu’à nos jours ;

3. Se garder d’omettre le fait capital que c’est au peuple juif, élu par Lui, que Dieu s’est révélé d’abord dans sa Toute-Puissance ; que c’est par le peuple juif que la croyance fondamentale en Dieu a été sauvegardée, puis transmise au monde chrétien ;

4. Reconnaître et dire loyalement, en s’inspirant des enquêtes historiques les plus valables, que le christianisme est né d’un Judaïsme non pas dégénéré mais vivace, comme le prouvent la richesse de la littérature juive, la résistance indomptable du judaïsme au paganisme, la spiritualisation du culte dans les synagogues, le rayonnement du prosélytisme, la multiplicité des sectes et des tendances religieuses, l’élargissement des croyances ; se garder de tracer du pharisianisme historique une simple caricature ;

5. Tenir compte du fait que l’histoire donne un démenti formel au mythe théologique de la Dispersion -châtiment providentiel (de la Crucifixion)-, puisque la dispersion du peuple juif était un fait accompli au temps de Jésus et qu’à cette époque, selon toute vraisemblance, la majorité du peuple juif ne vivait plus en Palestine ; même après les deux grandes guerres de Judée (Ie et IIe siècles), il n’y a pas eu de dispersion des Juifs de Palestine ; 

6. Mettre en garde les fidèles contre certaines tendances rédactionnelles des Évangiles, notamment dans le quatrième Évangile l’emploi fréquent du terme collectif  « les Juifs » dans un sens limitatif et péjoratif – les ennemis de Jésus : les grands prêtres, scribes et pharisiens – procédé qui a pour résultat non seulement de fausser les perspectives historiques, mais d’inspirer l’horreur et le mépris du peuple juif dans son ensemble, alors qu’en réalité ce peuple n’est nullement en cause ;

7. Dire très explicitement, afin que nul chrétien ne l’ignore, que Jésus était juif, de vieille famille juive, qu’il a été circoncis (selon la loi juive) huit jours après sa naissance ; que le nom de Jésus est un nom juif (Yeshoua) grécisé et Christ l’équivalent grec du terme juif Messie ; que Jésus parlait une langue sémitique, l’araméen, comme tous les juifs de Palestine ; et qu’à moins de lire les Évangiles dans leur texte original qui est en langue grecque, on ne connaît la Parole que par une traduction de traduction ; 

8. Reconnaître – avec l’Écriture – que Jésus, né « sous la Loi » juive, a vécu « sous la Loi », qu’il n’a cessé de pratiquer jusqu’au dernier jour les rites essentiels du judaïsme ; que jusqu’au jour, il n’a cessé de prêcher son Évangile dans les synagogues et dans le Temple ;

9. Ne pas omettre de constater que, durant sa vie humaine, Jésus n’a été que le « ministre des circoncis » (Romains, XV, 8) ; c’est en Israël seul qu’il a recruté ses disciples ; tous les apôtres étaient des Juifs comme leur Maître ; 

10. Bien montrer, d’après les textes évangéliques, que, sauf de rares exceptions, et jusqu’au dernier jour, Jésus n’a cessé d’obtenir les sympathies enthousiastes des masses populaires juives, à Jérusalem aussi bien qu’en Galilée ;

11. Se garder d’affirmer que Jésus en personne a été rejeté par le peuple juif, que celui-ci a refusé de le reconnaître comme Messie et Fils de Dieu, pour la double raison que la majorité du peuple juif ne l’a même pas connu, et qu’à cette partie du peuple qui l’a connu, Jésus ne s’est jamais publiquement et explicitement présenté comme tel ; admettre que selon toute vraisemblance, le caractère messianique de l’entrée à Jérusalem à la veille de la Passion n’a pu être perçu que d’un petit nombre ;

12. Se garder d’affirmer qu’à tout le moins Jésus a été rejeté par les chefs et représentants qualifiés du peuple juif ; ceux qui l’ont fait arrêter et condamner, les grands prêtres, étaient les représentants d’une étroite caste oligarchique, asservie à Rome et détestée du peuple ; quant aux docteurs et aux pharisiens, il ressort des textes évangéliques eux-mêmes qu’ils n’étaient pas unanimes contre Jésus ; rien ne prouve que l’élite spirituelle du judaïsme se soit associée à la conjuration ;

13. Se garder de forcer les textes pour y trouver la réprobation globale d’Israël ou une malédiction qui n’est prononcée nulle part explicitement dans les Évangiles ; tenir compte du fait que Jésus a toujours pris soin de manifester à l’égard des masses populaires des sentiments de compassion et d’amour ;

14. Se garder par-dessus tout de l’affirmation courante et traditionnelle que le peuple juif a commis le crime inexpiable de déicide, et qu’il en a pris sur lui, globalement toute la responsabilité ; se garder d’une telle affirmation non seulement parce qu’elle est nocive, génératrice de haine et de crimes, mais aussi parce qu’elle est radicalement fausse ;

15. Mettre en lumière le fait, souligné par les quatre Évangiles, que les grands prêtres et leurs complices ont agi (contre Jésus) à l’insu du peuple et même par crainte du peuple ;

16. Pour ce qui est du procès juif de Jésus, reconnaître que le peuple juif n’y est pour rien, n’y a joué aucun rôle, n’en a même probablement rien su ; que les outrages et brutalités qu’on met à son compte ont été le fait de policiers ou de quelques oligarques ; qu’il n’y a nulle mention d’un procès juif, d’une réunion du sanhédrin dans le quatrième Évangile ;

17. Pour ce qui est du procès romain, reconnaître que le procurateur Ponce Pilate était entièrement maître de la vie et de la mort de Jésus ; que Jésus a été condamné pour prétentions messianiques, ce qui était un crime aux yeux des Romains, non pas des Juifs ; que la mise en croix était un supplice spécifiquement romain ; se garder d’imputer au peuple juif le couronnement d’épines qui est, dans les récits évangéliques, un jeu cruel de la soldatesque romaine ; se garder d’identifier la foule ameutée par les grands prêtres avec le peuple juif de Palestine dont les sentiments anti romains ne font pas de doute ; noter que le quatrième Évangile met en cause exclusivement les grands prêtres et leurs gens ;

18. En dernier lieu ne pas oublier que le cri monstrueux : « son sang soit sur nous et sur nos enfants » ne saurait prévaloir contre la Parole : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. »

Alexandre NANOT – Octobre 2023

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