16 janvier 2021
Alexandre Nanot

16-17 juillet 1942 : La rafle du Vél d’Hiv

La rafle du Vél d’Hiv fait partie de ce que j’appellerai « les taches noires de la France », tout comme l’Affaire Dreyfus et bien d’autres chapitres dont on ne peut être fier. Le point commun de ces deux scandales : le Juif. Qui est-il ? D’où vient-il ? Que cherche t-il ? Pourquoi fait-il si peur ?

Antisémitisme. Le mot est lâché. Phénomène en mutation constante, il s’inscrit dans l’inconscient collectif et se retrouve à travers chaque génération. Les Égyptiens, les Babyloniens puis les Assyriens, les Perses, les Grecs et enfin les Romains sont autant de grandes civilisations qui toutes se sont éteintes. Les Juifs survivent et subsistent malgré toutes les tempêtes. Partant d’Amaleq, Haman ou plus près de nous Hitler, tous ont eu cette volonté de faire disparaître le peuple juif. Tous ont essayé, mais personne n’y est parvenu. Cela a d’autant plus interrogé Blaise Pascal qui le note dans ses pensées :

Ce peuple n’est pas seulement considérable par son antiquité, mais il est encore singulier en sa durée, qui a toujours continué depuis son origine jusqu’à maintenant. Car au lieu que les peuples de Grèce et d’Italie, d’Athènes, de Rome, et les autres qui sont venus si longtemps après, soient péris il y a si longtemps, ceux‑ci subsistent toujours, et malgré les entreprises de tant de puissants rois qui ont cent fois essayé de les faire périr, comme leurs historiens le témoignent, et comme il est aisé de le juger par l’ordre naturel des choses pendant un si long espace d’années, ils ont toujours été conservés néanmoins.

Mark Twain posa un jour la question : « toutes les choses sont mortelles sauf les juifs. Toutes les autres forces passent, mais eux restent. Quel est le secret de leur immortalité ? ». Je n’évoquerai même pas le mythe du « Juif errant ». Trouvaille là encore ingénieuse.

Le juif gène, le juif embarrasse. On a du mal à le caser parmi les autres nations, lui nation mise à part. Il est différent, il fait peur. On l’appelle  » Peuple élu – Peuple choisi « , tant est si bien que si l’on en fait pas parti, on n’est pas élu, donc nous sommes inférieurs. Cela provoque la jalousie et cette jalousie entretenue se transforme en haine. Cependant, être un peuple choisi par Dieu comporte une grande responsabilité vis-à-vis des autres nations.

La France n’a pas toujours été bienveillante envers les Juifs. Il n’y a qu’à considérer l’histoire de l’antisémitisme en France pour s’en rendre compte. Il serait fort intéressant de s’arrêter sur les massacres perpétrés par les Croisades qui se sont succédées contre les « assassins de Jésus » mais voici quelques dates :

Au XIIe siècle apparaît l’accusation de meurtre rituel. Plusieurs dizaines de Juifs sont envoyées au bûcher à Blois en 1171.
En 1215, le concile de Latran impose le port de la rouelle qui deviendra obligatoire en France en 1269, à la fin du règne de Louis IX dit « Saint Louis ».
Philippe Auguste ordonne leur expulsion en 1182 et en 1198.
Louis IX, futur Saint-Louis, l’imita en 1254, puis son fils Philippe III « le Hardi » en 1271.
S’ensuit Philippe le Bel en 1306, près de 100 000 juifs doivent quitter le royaume.

1348 : La Grande peste. Il faut un bouc émissaire – les Juifs ont le mauvais rôle. On les accuse d’empoisonner les puits. Conséquences, de nombreux juifs sont brûlés au bûcher voir massacrés.

L’abbé Grégoire œuvre au décret d’émancipation, décret voté dans la douleur le 27 septembre 1791. Il semblerait que les juifs de France retrouvent enfin droit de cité. L’émancipation pourrait régler le problème une fois pour toute, mais peu sans faut pour réveiller l’inconscient collectif. L’affaire Dreyfus va laisser s’exprimer cet antisémitisme que l’on croyait neutralisé.  » Mort aux juifs  » criaient-ils dans la foule. Dreyfus, le capitaine juif va à lui seul soulever la France en deux camps, soufflant ainsi sur les braises à peine éteintes de la haine du Juif. Mais j’aimerais m’arrêter sur un épisode en particulier.

16 Juillet 1942 – Nom de code :  » Vent printanier « 

En France, les Allemands commencent à mettre en œuvre leur politique d’extermination massive des juifs d’Europe dès mars 1942, ainsi des convois de déportés juifs quittent Compiègne, plaque tournante d’alors vers les camps de concentration et d’extermination. Le gouvernement de Vichy n’exprime pas de protestation. En zone occupée, les juifs sont obligés de porter l’étoile jaune à partir de mai 1942. Cette mesure ne sera jamais imposée en zone sud, même après son occupation par les Allemands.

L’étau s’est resserré petit à petit pour les Juifs de France. On leur interdit d’exercer certaines professions, puis on les prive tous de leur emploi parce qu’ils sont juifs. On leur enlève les postes de radio, on les sépare des autres et on les distingue en leur imposant de porter l’étoile jaune. Certains lieux et écoles leur sont interdits et même de téléphoner dans les cabines publiques. Théâtres, restaurants – accès interdit si l’on est juif. De plus, les autorités françaises les ont obligés à aller s’inscrire dans les commissariats de police. Au final, ce sont 27 388 juifs qui figurent sur les listes d’inscrits. Suite à l’accord du Régime de Vichy mené par le Maréchal Pétain et de l’Allemagne, la France doit « livrer » 28 000 Juifs. Cette opération sera orchestrée par Théodor Danneker, avocat et membre de la Gestapo de Berlin, nazi et correspondant personnel d’Adolf Eichmann. Cet Eichmann qui fut le principal responsable de la logistique de la « solution finale » et de l’organisation de la déportation des Juifs vers les camps de concentration et d’extermination.

Une vaste opération de police, appelée « Vent printanier », est planifiée le 16 juillet à 04h00 et se poursuivra la journée du 17 juillet 1942. Une telle ampleur dans Paris ne s’est plus vue depuis l’arrestation des Templiers, le 13 octobre 1307 et la Saint-Barthélémy, le 24 août 1572. Pour cette grande rafle, 9000 policiers ont été mobilisés pour l’arrestation de 28 000 juifs dont 4000 enfants. La forte concentration de juifs, dans les XXe, XIe et IVe arrondissements, fait que ceux-ci sera principalement le centre de l’opération.

À Paris, ce jeudi matin là, comme les jours sont parmi les plus longs de l’année, la rafle est planifiée à l’heure H : 04h00. Ce sont des groupes de trois ou quatre policiers, munis de listes nominatives en main, qui font irruption dans des milliers d’appartements parisiens. Les consignes sont formelles : arrêter hommes, femmes et enfants. « On ne doit pas discuter sur l’état de santé », précisent les instructions, qui prévoient également que,  » en cas de non-arrestation, gardiens et inspecteurs mentionneront les raisons pour lesquelles elle n’a pu être faite « . Femmes en couches, vieillards, malades, personne n’est épargnée… Quand ils comprennent l’inéluctable, beaucoup préfèrent se suicider plutôt que de se laisser arrêter, par exemple rue du Poitou, une mère et ses deux enfants se jettent du quatrième étage. Certains parviennent à s’enfuir, prévenus par la rumeur ou les voisins. Durant ces deux jours, 12 884 juifs apatrides sont arrêtés par la police répartis en 3 031 hommes, 5 802 femmes et 4 051 enfants.

Après les arrestations, commence l’interminable va-et-vient des autobus vers les « centres transitoires » :
Le camp de Drancy est destiné aux femmes et aux hommes seuls. 5000 personnes environ y seront enfermées.
Le Vél d’Hiv, quant à lui, est réservé uniquement pour l’accueil des familles avec enfants ( je ne sais si c’est le bon mot pour parler d’accueil ). Le vélodrome se trouve comme un lieu stratégique provisoire, situé dans le 15e arrondissement, rue Nélaton et qui sert de prison mais ressemble davantage à l’antichambre de la mort. Le stade se transforme vite en un enfer qui durera une semaine. Bien sûr que rien n’a été prévu pour recevoir ces 8 160 personnes. On comptabilise 4 115 enfants, 2 916 femmes et 1 129 hommes, qui devront survivre pendant cinq jours, sans nourriture et avec un seul point d’eau, dans une chaleur parisienne « étouffante » d’un mois de juillet sans parler de l’odeur « épouvantable » et du bruit « infernal » de l’écho du stade. Ceux qui tentent de s’enfuir sont tués sur-le-champ. Beaucoup n’ont même pas la place de s’allonger. Nombre de prisonniers perdent la raison, murés dans un silence dont ils ne sortiront plus, ou hurlant pour demander de l’aide, de l’aide à une France qui semble anesthésiée. On recensera 107 suicides (certains se jetant du haut des gradins) pendant cette terrible semaine qui semble interminable et dont ces captifs ne connaissent pas l’issue. Tous sont laissés sans soins, de nombreux malades meurent. Interdiction était donnée de leur venir en aide !

Après l’horreur du Vél d’Hiv, s’ensuit l’horreur des camps. Les 4 115 enfants seront transférés du Vél d’Hiv aux camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande situés dans le Loiret avant d’être envoyés à Auschwitz. tous ces enfants seront gazés dès leur arrivée à Auschwitz. Les adultes et les enfants de plus de 12 ans partiront vers la destination finale le 5 août, les plus petits vers la mi-août. Aucun ne survivra. Seuls quelques enfants échapperont et témoigneront des faits comme Joseph Weismann (qui s’échappera du camp de Beaune-la-Rolande avec un camarade) ou Annette Muller et son frère Michel dont le père arrive à corrompre un policier du camp de Drancy, pour les en faire sortir.

Les Allemands furent insatisfaits de cette rafle car la France s’était engagée pour livrer 28 000 juifs et seulement 13 000 l’ont été. Conformément aux accords négociés, les nazis réclamèrent 700 reichsmark par juifs déportés.

En 2022, nous commémorons les 80 ans de la Rafle du Vél d’Hiv. Deux générations sont passées et la nouvelle n’a guère le souci de ce tragique passé. Or, comme le disait le Baal Shem tov : Celui qui nie l’histoire est condamné à la revivre. Il serait donc de notre devoir de transmettre ces faits à ceux qui nous suivent, car le souvenir passe par la transmission.

« Malheur ! Car ce jour est grand ; il n’y en a point eu de semblable.
C’est un temps d’angoisse pour Jacob ; mais il en sera délivré »
(Jérémie 30.7).

Timbre français 1995 – En souvenir de la Rafle du Vel d’Hiv

FDC du 9 Juillet 1995 – LA Rafle du Vel d’Hiv

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