2 avril 2022
Alexandre Nanot

Actes 10.44 ou la prédication interrompue

Actes 10.44 : Comme Pierre prononçait encore ces mots, le Saint-Esprit tomba sur tous ceux qui écoutaient la parole. Tous les fidèles circoncis furent étonnés de ce que le don du Saint Esprit fut aussi répandu sur les païens, car ils les écoutaient parler dans des langues et glorifier Dieu.

Darby : Comme Pierre prononçait encore ces mots, l’Esprit Saint tomba sur tous ceux qui entendaient la parole.

Lienart : Pierre prononçait ses dernières paroles, quand l’Esprit Saint tomba sur tous ceux qui écoutaient le discours.

P. de Beaumont : Pierre parle encore que l’Esprit-saint s’empare de ceux qui l’écoutent.

NFC : Pendant que Pierre parlait encore, l’Esprit saint descendit sur tous ceux qui écoutaient son discours. Les croyants d’origine juive qui étaient venus avec Pierre furent stupéfaits de constater que l’Esprit saint donné par Dieu se répandait aussi sur ceux qui ne sont pas Juifs.

Qu’un discours soit interrompu n’est pas le seul cas chez Luc, nous le retrouvons lorsque Paul échange avec les philosophes d’Athènes (17.32), avec les juifs de Jérusalem (22.22 ; 23.7) et enfin devant le roi Agrippa (26.24), mais j’aimerais m’arrêter plus précisément sur ce cas de Pierre lorsqu’il est chez Corneille.

CONTEXTE

Ce passage d’Actes 10 est appelé communément la Pentecôte des païens. Nous sommes vraisemblablement en 41 et depuis la Pentecôte décrite en Actes 2 qui, elle, eut lieu 50 jours après la résurrection de Jésus (dimanche 9 avril de l’an 30). Nous pouvons dire qu’une bonne dizaine d’années s’est écoulée, et notons que cette église n’était composée qu’uniquement de juifs. Précisons que ces juifs qui ont cru en Jésus, n’avaient pas rompu avec le Judaïsme comme voudrait nous le faire croire une certaine théologie que l’on retrouve à travers certaines traductions. Il n’y a pour cela qu’à prendre deux exemples :

Le premier est celui de Pierre qui, avant de se rendre chez Corneille doit être quelque peu bousculé. Pierre reçoit la vision de la nappe lui présentant des animaux non casher, impropres à la consommation des juifs et il va répondre quelque chose de peu surprenant au Seigneur, qui lui demande de tuer et de manger ces animaux. Pierre est déconcerté, déstabilisé, il réplique : “Certainement pas Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de souillé ni d’impur” (Actes 10.13). De cette réponse de l’apôtre, nous pouvons aisément admettre que Pierre respectait, en bon juif “messianique” l’observance de la cacheroute et ce, même après la résurrection de Jésus.

Le second, nous vient de la vie de Paul qui jusqu’à la fin du livre des Actes déclare : Je suis juif, d’abord au tribun, qui le prend pour un Égyptien (Actes 21.39), puis devant le peuple où, là encore il ne reniera pas son identité juive (Actes 22.3). Paul, en bon juif voulait se rendre à Jérusalem pour la fête de Pentecôte, il ne s’est pas coupé de ses racines (Actes 20.16). Nous pourrions aussi parcourir le passage d’Actes 21. 20-26 pour se rendre compte que Paul ainsi que les juifs qui ont cru en Jésus ne se sont pas pour autant affranchis de la Torah.

Revenons à notre texte de la vision de la nappe, qui laisse Pierre dans un état d’incompréhension : Il cherche en lui-même ce que peut signifier la vision qu’il a eu (Actes 10.17), il en comprendra le sens une fois face à Corneille, un non-juif ou plus précisément, un Craignant-Dieu, c’est-à-dire un païen qui adhère au judaïsme jusqu’à un certain point et n’ai tenu que de respecter les 7 lois Noachiques. Ces païens, à cette heure-là, étaient en position d’infériorité vis-à-vis de leurs frères juifs, mais comme la suite du récit nous le montrera, pas pour longtemps.

Un juif, en ce temps-là, n’avait pas le droit d’avoir de relation avec des païens, de peur de se rendre impur et encore moins de manger avec eux sous peine d’enfreindre l’observation de la cacheroute. Avec de telles contraintes, comment le salut pourra-t-il toucher ces païens ? Et c’est là que Dieu, à travers la vision de la nappe, va bousculer Pierre dans ses raisonnements. Grâce à l’intervention d’un ange, Corneille va dépêcher 3 de ses hommes pour entendre de l’apôtre le message.

Pierre comprend assez vite ce qu’il se trame. Arrivé chez Corneille, qui entre temps a pris le temps de rassembler toute sa famille, Pierre a saisi et interprète la vision en introduisant son message ainsi : Vous savez qu’il est défendu à un Juif de se lier avec un étranger ou d’entrer chez lui ; mais Dieu m’a appris à ne regarder aucun homme comme souillé ou impur (Actes 14.28).

Corneille et les siens ne restent pas insensibles à la Parole du Seigneur. Leur cœur est comme la semence en terre qui n’attend que la pluie pour germer. Oui, cette parole du prophète Ésaïe est bien de circonstance : Comme la pluie et la neige descendent des cieux, et n’y retournent pas sans avoir arrosé, fécondé la terre, et fait germer les plantes, sans avoir donné de la semence au semeur et du pain à celui qui mange ; ainsi en est-il de ma parole, qui sort de ma bouche : Elle ne retourne point à moi sans effet, sans avoir exécuté ma volonté et accompli mes desseins (Ésaïe 55.10).

La prédication improvisée de Pierre tient en seulement 10 versets (v.34-43) et je crois que l’essentiel y est dit. Il semble que l’Esprit le laisse s’exprimer jusqu’à cette parole : Tous les prophètes rendent de lui le témoignage que quiconque croit en lui reçoit par son nom le pardon des péchés, car manifestement un évènement va bousculer le cours des choses. Ce “quiconque” n’est plus réservé aux seuls juifs mais il est dorénavant ouvert aux nations, tel était le sens de la vision. Corneille et les siens acceptent simplement par la foi, la Parole de Dieu.
Pour attester que Dieu accueille ceux des païens qui croient en Jésus et reçoivent par son nom le pardon de leurs péchés, Dieu va soudainement interrompre Pierre dans sa prédication car le Saint-Esprit va littéralement leur tomber dessus. C’est le sens du verbe employé par Luc (ἐπιπίπτω epipipto). Les traducteurs optent généralement pour le verbe descendre car employer “tomber dessus” semblerait incorrect et impoli, mais c’est pourtant bien là le sens du verbe grec employé par Luc. Il signifie et pourrait être rendu selon le contexte par s’emparer, se ruer ou se presser sur, mais aussi saisir, prendre possession.

Nous trouvons ce verbe dans des cas de pareil situation, comme à Éphèse, lorsque la crainte s’empara de tous (19.17), mais aussi dans le récit de la Pentecôte des Samaritains (8.16) quand il est dit que l’Esprit ne leur était pas encore tombé dessus. (voir aussi Lc 1.12 ; Ac 20.37). ἐπιπίπτω implique donc une certaine violence, une manifestation soudaine presque incontrôlée. 

Revenons à notre récit. Pierre n’a pas encore terminé son discours qu’il est interrompu brutalement car le Saint Esprit tombe sur les gens de la maison de Corneille. Comment Pierre et les six hommes juifs qui l’ont accompagné depuis Joppé le savent-ils ? Par la manifestation audible de la glossolalie, celle du parler en langues. S’il en était autrement, comment Pierre l’aurait-il su ?

En ce faisant, Dieu dit clairement qu’à partir de maintenant, les païens ont eux aussi part aux alliances qui, jusqu’alors étaient exclusives à Israël. Ceux des nations en étaient écartés (Ps 147.19-20).

L’expression du parler en langues, comme conséquence à l’irruption de l’Esprit Saint sur un groupe de personnes n’est pas un cas isolé dans ce récit. On le trouve en Actes 2 où il est répandu sur les 120 qui représentent le noyau de l’Église, tous ont été remplis et tous ont parlé en langues. A Éphèse, même phénomène, les douze hommes sont saisis et se mettent à parler en langues et à prophétiser (Act 19.7). Remarquez que dans ces trois épisodes, TOUS ont été saisis par l’Esprit et TOUS se sont donc mis à parler en langues et à prophétiser, mais comme conséquence (c’est important de le rappeler). Il en est rarement ainsi dans les églises pentecôtistes ou charismatiques où je n’ai pu voir de mes yeux et entendu de mes oreilles que TOUS ceux qui recherchaient cette expérience ont TOUS été touchés. Je crois qu’il nous faut revenir à la simplicité de l’évangile et éviter de s’écarter de ce que les textes saints nous disent, même dans certains détails.

Enfin, pour revenir à notre verset, notons que la traduction Lienart préfère rendre le passage ainsi : « comme Pierre prononçait ses dernières paroles…», et il y a bien dans ce cas-là, entorse au texte, car il est dit littéralement « comme Pierre parlait encore.…». C’est un détail direz-vous, mais on voit que le traducteur a fait passé sa compréhension du texte avant de s’en tenir à l’original.

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