7 février 2021
Alexandre Nanot

Éliezer Ben-Yehouda (1858-1922)

Éliézer Ben-Yéhouda est un personnage emblématique dans l’histoire moderne d’Israël. Afin de garder son souvenir, beaucoup de rues ainsi que des Yeshivot (écoles) portent son nom en Israël et, à l’occasion de l’année 1959, la Poste éditait un timbre commémorant l’illustre Éliezer comme réhabilitant l’hébreu moderne. 

Éliézer Ben-Yéhouda naît de parents juifs en Lituanie, le 7 janvier de l’an 1858. Il commence ses études dans une Yeshiva (école), qu’il quitte pour se rendre dans une petite ville où Dvora Yonas (Déborah en français), fille d’un écrivain connu, lui enseigne le russe et le français. Alors qu’il a 19 ans, un soir dans sa chambre, il fait un rêve qu’il note dans son carnet : et j’entendis une étrange voix intérieure m’appeler : « Renaissance d’Israël et de sa langue sur la terre des Pères » ! Tel fut mon rêve ». Voilà sa vocation, sa raison d’être et le but de sa vie.

En 1878, il se rend à Paris pour y entreprendre des études médicales. Durant un hiver relativement froid, il contracte la tuberculose et, sur la recommandation du médecin, il décide qu’il lui serait profitable de s’installer dans un pays où le climat est plus chaud. Mais avant de quitter la France, il doit informer ses amis des motivations qui l’ont poussé jusqu’alors. Elles seront publiées dans le journal Ha Shahar en 1879 :

« Pourquoi en êtes-vous arrivés à la conclusion que l’hébreu est une langue morte, qu’elle est inutilisable pour les arts et les sciences, qu’elle n’est valable que pour les « sujets qui touchent à l’existence d’Israël » ? Si je ne croyais dans la rédemption du peuple juif, j’aurais écarté l’hébreu comme une inutile entrave. J’aurais admis que les maskilim de Berlin avaient raison de dire que l’hébreu n’avait d’intérêt que comme un pont vers les Lumières. Ayant perdu l’espoir dans la rédemption, ils ne peuvent voir d’autre utilité à cette langue. Car, Monsieur, permettez-moi de vous demander ce que peut bien signifier l’hébreu pour un homme qui cesse d’être hébreu. Que représente-t-il de plus pour lui que le latin ou le grec ? Pourquoi apprendrait-il l’hébreu, ou pourquoi lirait-il sa littérature renaissante ? »

« Il est insensé de clamer à grands cris : « Conservons l’hébreu, de peur que nous ne périssions ! » L’hébreu ne peut être que si nous faisons revivre la nation et la ramenons au pays de ses ancêtres. C’est la seule voie pour réaliser cette rédemption qui n’en finit pas. Sans cette solution nous sommes perdus, perdus pour toujours. »

« […] Il ne fait guère de doute que la religion juive sera capable de survivre, même en terre étrangère. Elle changera son visage selon l’esprit du moment et du lieu, et son destin sera celui des autres religions. Mais la nation ? La nation ne pourra vivre que sur son sol, et c’est sur cette terre qu’elle renouvellera sa jeunesse et qu’elle produira de magnifiques fruits, comme dans le passé ».

Pendant tout ce temps, entre repos et convalescence, il lit de nombreux ouvrages en hébreu, et rédige aussi des articles dans cette langue qu’il désire voir renaître de ses cendres. C’est à cette période qu’il adoptera le nom de « Ben-Yéhouda » (son vrai nom est Perlman).

Eliezer et sa deuxième femme Hemda en 1912

En 1880, Dvora Yonas vient le rejoindre au Caire, où ils se marieront avant de se rendre en Palestine. Dans le bateau qui les mène à Jaffa, Éliézer commence à enseigner l’hébreu à Dvora, et dès lors ils s’engagent à ne plus échanger que dans cette langue.

Le couple s’installe à Jérusalem. Éliézer Ben-Yéhouda date très précisément la résurrection de cette langue parlée collectivement en Eretz Israël de « la nuit de Hoshana Rabba [dernier jour de la fête de Souccot] de l’an 5642 (= automne 1882) dans la maison de son ami, le rabbin Yéhel Michaël Pinès. Ils avaient prêté serment de ne se parler qu’exclusivement en hébreu.

Petit à petit, l’oiseau fait son nid, comme dit le proverbe. Un fils naît à Éliézer et Dvora. C’est le premier enfant des temps modernes auquel ses parents ne parlent que l’hébreu. Interdisant à sa mère de lui chanter les berceuses russes, il les réduisit tous deux au confinement le plus strict pendant plusieurs années. Ce fils n’aura pas le droit de jouer avec d’autres enfants, pour ne pas entendre d’autre langue. Malheureusement, ce petit enfant meurt très jeune. Mais quatre autres enfants voient le jour, apportant joie et fraîcheur chez les Ben Yéhouda. Mais ce bonheur sera de courte durée : Dvora tombera malade et mourra de la tuberculose en 1891.
Il épousera néanmoins Hemda, la sœur cadette de Dvora. Hemda a quinze ans de moins que Éliézer et son beau-père s’y oppose surtout par crainte que sa deuxième fille ne tombe elle aussi malade de la tuberculose. Le mariage aura pourtant lieu et Hemda s’avérera être une grande aide dans la poursuite de son projet.

Les Ben-Yéhouda s’installent à Jérusalem, où les Juifs forment alors une communauté très démunie, mais qui constitue déjà la majorité des habitants de la ville. Il commence à travailler au journal hébreu Ha’havatseleth (« Le lis »). En 1884, il fonde son propre journal Hatsvi (« Le cerf »), dans lequel il exhorte les Juifs à construire Israël et à ne parler qu’en hébreu, avec la prononciation sépharade. Il présente aussi de nouveaux mots qu’il invente pour enrichir la langue hébraïque moderne. En dehors de son travail de journaliste, Éliezer est professeur à l’école de l’Alliance Israélite Universelle. Il y enseigne toutes les matières en hébreu, bien qu’il soit difficile pour les élèves d’étudier dans une langue qu’ils ne parlent pas chez eux et dans laquelle il n’existe pas de manuels scolaires.

Le travail incessant et la pauvreté provoquent une rechute de la tuberculose dont il avait souffert dans son adolescence. Il sent que ses jours sont comptés, et il redouble d’ardeur au travail, selon sa devise : « Le jour est court et le travail est grand » (Pirkei Avoth). Il commence à rassembler, à partir de la littérature de tous les siècles, des mots et des expressions hébraïques, dans le but de les actualiser et de composer un dictionnaire de l’hébreu moderne.

Inlassable, il travaille jusqu’à l’aube, tentant de réaliser le premier dictionnaire recensant tous les mots de l’hébreu, depuis les plus anciens, bibliques, jusqu’au vocabulaire technique des rabbins employé dans le Talmud et par les poètes hébraïsants de l’âge d’or espagnol. Le mot « électricité » sera construit sur le mot Hasmal , désignant la « luminosité divine » dans la vision de la Merkavah (Ezéchiel 1.4), mais il faut inventer des mots d’usage moderne tels que bicyclette, lunettes, il en invente comme téléphone, poupée – Bouba en hébreu -, glace… Pour enrichir le lexique, il fouille aussi, avec ses amis et sa seconde femme Hemda, l’araméen et l’arabe, ainsi que le latin, le français, l’allemand. Plus tard, il écumera les bibliothèques européennes et décrochera enfin un contrat à Berlin pour la publication d’un « Dictionnaire complet de l’hébreu ancien et moderne » en 17 volumes. Le premier volume paraîtra en 1910. Il sera complété par sa deuxième femme, Hemda, et son fils après sa mort, et reste à ce jour un ouvrage unique et majeur dans les annales de la lexicographie hébraïque. 

Éliézer Ben Yéhouda à son bureau de Jérusalem.

En 1914, fuyant les persécutions ottomanes, il part pour New York avec sa famille, d’où il ne reviendra qu’à la fin de la guerre. Il a alors la joie d’assister à l’accroissement de la cité, et de constater qu’on parle de plus en plus l’hébreu dans le pays. Le 29 novembre 1922, les Autorités du mandat britannique ont reconnu l’hébreu comme la langue officielle des Juifs de Palestine. Une victoire bien méritée pour Éliézer.

Mais l’illustre Éliézer s’éteindra à l’âge de 64 ans le 22 décembre 1922, alors que l’on célébrait la fête de Hanoucca. Des milliers de personnes assisteront à son enterrement, et trois jours de deuil seront décrétés dans tout le pays. Sans son engagement et sa détermination, il est fort probable que l’hébreu ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui.

Timbre Israël – 1959 –
100th anniversaire de sa naissance



Un autre homme, David Ben Gourion partageait ce rêve, celui de revenir en Terre de Sion et d’y vivre en paix et ainsi de voir la langue hébraïque renaître à nouveau. 

Lors d’une interview, on posa la question à M. Ben Gourion : Êtes-vous sûr que dès l’âge de 3 ans vous saviez déjà que vous étiez un sioniste invétéré ? Ben Gourion répondit catégoriquement : Absolument. Les enfants juifs de ma ville natale, Plonsk, en Pologne, étaient tous sionistes. Ils ne voulaient pas apprendre le polonais parce qu’ils savaient qu’ils allaient vivre un jour prochain sur la Terre d’Israël. Ils ne souhaitaient qu’une seule chose : apprendre l’hébreu.
À 13 ans, le jeune David a fondé, à Plonsk, un club sioniste qui avait pour but d’enseigner et de promouvoir la langue hébraïque. Dans ce club, Ben Gourion et ses amis ont appris à lire et à parler l’hébreu.

David Ben Gourion lança ce slogan : « Am ehad, safa akhatune langue, un peuple ! ». Le yiddish – qualifié de « jargon » –, incarnait jusqu’alors la langue de la diaspora et en particulier dans les ghettos. Il fut remplacé par l’ivrit – l’hébreu – en référence à Héber, l’ancêtre des Hébreux.

« Qui saurait acheter un billet de train en hébreu ? » demandait Théodore Herzl, l’auteur de L’État des Juifs. Si cela pouvait paraître fou en 1900, que dirait-on quelque 110 ans plus tard ?

Si personne ne court après ses rêves, jamais ils ne se réaliseront.

FDC 25-11-1959 – Éliézer Ben-Yéhouda

Éliézer, en blanc en bas à droite. Sur le tab en bas : et la langue des bègues s’exprimera avec facilité et clarté (Isaïe 32.4)

Le Fonds national juif (FNJ) ou Keren Kayemeth LeIsrael (KKL), en hébreu, littéralement : « fonds pour la création d’Israël » 1990.

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