Il est de ces sujets qui reviennent chaque fin d’année et sont sujets à polémique. L’un d’entre eux : Est-ce que Jésus est véritablement né le 25 décembre ? Question fondamentale, voire existentielle, et qui vraisemblablement perturbe les nuits de quelques-uns. Alors Jésus est-il, oui ou non, né le 25 décembre ? Si la réponse est oui, quelles preuves peut-on fournir ? Et si la réponse est non, sur quoi se base-t-on ?
Les seules fêtes mentionnées dans la Première Alliance (ou Ancien Testament) sont les sept fêtes dites de l’Éternel : Pessah (Pâque), la fête des pains sans levain, la fête des prémices, Shavouot (Pentecôte), la fête des Shofars, Yom kippour (le Grand pardon) et la fête de Souccoth (ou des cabanes). D’autres ont été ajoutées plus tard comme Tou Bichvat (le Nouvel An des arbres) qui est célébré généralement fin janvier, Pourim (les sorts) d’après le livre d’Esther, Tisha Beav (litt. le 9 du mois de Av) qui est un jour de deuil commémorant les catastrophes historiques, Rosh Hashana, le Nouvel An juif qui marque l’année civile, alors que le 1ᵉʳ de Nissan marque l’année religieuse ; puis nous avons Sim’hat torah (la joie de la Torah) et enfin Hanoukka (la fête des lumières) qui dure huit jours.
Certaines de ces fêtes ont été reprises par les chrétiens et sont toujours célébrées telles que Pâque et Pentecôte. Notre Mardi Gras est un décalque de la fête de Pourim et il tombe à peu près à la même période. Enfin, Noël est un remake christianisé de la fête de Hanouccah : du 25 décembre au 1ᵉʳ janvier, il y a huit jours ; huit jours comme la fête des lumières ; les guirlandes, les lumières, les cadeaux sont typiquement synonymes de Hanouccah.
Notons que la date du 25 décembre devient officiellement la fête de Noël dans l’Église romaine (et donc dans tout l’Occident chrétien) à partir du pontificat de Jules Iᵉʳ ou Libère, entre 336 et 354 ap. J.C., avec attestation formelle en 354.
C’est à partir de là que la fête se répand rapidement dans tout l’Empire romain chrétien au IVe siècle, supplantant progressivement les anciennes célébrations du 6 janvier (Épiphanie) pour la naissance.
Les opposants à date du 25 décembre ripostent généralement avec deux arguments qui sont en lien avec le solstice d’hiver (21–22 décembre), moment où les jours recommencent à s’allonger. Dans l’Antiquité, il était chargé de symboliques telles que la renaissance de la lumière, la victoire du soleil, le renouveau cosmique ; plusieurs fêtes païennes avaient lieu autour de cette période.
Le premier argument se réfère aux Saturnales (17–23 décembre), une fête très ancienne (au moins IIᵉ siècle av. J.-C.). C’est une célébration de Saturne, du renversement symbolique de l’ordre social, de l’abondance et de la “liberté”. Elle ne durait initialement qu’un seul jour (le 17) et fut étendue ensuite jusqu’au 23 décembre.
Le second, c’est celui du fameux Sol Invictus (Soleil invaincu) qui était célébré le 25 décembre. C’est la fête la plus directement liée par la date. Le culte du Soleil invaincu est adopté officiellement par l’empereur Aurélien en 274 ap. J.C, qui en fait un culte impérial officiel. Retenons donc cette date de 274.
Le 25 décembre est mentionné comme Dies Natalis Solis Invicti (jour de naissance du Soleil invaincu), probablement en lien avec le solstice.
Le Calendrier de 354 (Philocalus), document qui contient une riche chronologie, mentionne à la fois :
- le 25 décembre comme natalis solis invicti (naissance du Soleil)
- le 25 décembre comme natus Christus in Betleem (naissance du Christ).
Donc, dès 354, les deux dates coexistent dans un même document.
LES CHRÉTIENS ONT-ILS RÉCUPÉRÉ CETTE FÊTE PAÏENNE ?
Deux grandes théories existent.
D’abord, selon beaucoup d’historiens, les chrétiens auraient choisi le 25 décembre pour offrir une alternative chrétienne à la fête très populaire du Soleil Invaincu, pour remplacer symboliquement la naissance du Soleil païen par la naissance du “Soleil de justice” (Malachie 3:20), faciliter l’intégration des convertis dans le calendrier chrétien. Des Pères de l’Église des IVᵉ et Vᵉ s. s’y réfèrent : Saint Augustin dit que les chrétiens ne fêtent pas le soleil physique, mais le Christ, qui Lui est le “véritable soleil”.
La seconde théorie est un peu plus complexe.
Tertullien (vers 160–220) ne parle pas directement du 25 décembre, mais il fournit le premier jalon décisif : Il fixe la mort de Jésus. Dans plusieurs de ses œuvres (Adversus Judaeos, De Anima), Tertullien affirme : que Jésus est mort le 14 Nisan, et que cette date correspondait à la 25ᵉ année du règne de Tibère. Les calculs de Tertullien donnent le 14 Nisan comme le 25 mars selon les correspondances calendaires qu’il utilise. Dès lors, pour les chrétiens latins, le Christ est mort le 25 mars.
Tertullien ne parle pas encore d’un lien entre la mort et la conception, ni d’une naissance le 25 décembre. Mais il fournit la date-clé que d’autres vont ensuite exploiter.
La tradition juive du “jour plein”. Un concept juif ! Ce concept dit que les justes accomplissent une vie “complète” : ils meurent le même jour qu’ils ont été conçus. Cette idée, présente dans le judaïsme du Second Temple, va être appliquée spontanément au Christ. Donc, si Jésus meurt le 25 mars, c’est qu’il aurait été conçu un 25 mars, et s’il a été conçu dans le sein de Marie un 25 mars, neuf mois plus tard nous amène donc au 25 décembre. Notons que Tertullien n’a jamais écrit cette conclusion, mais c’est sa date du 25 mars qui rend cette logique possible.
Celui qui va développer cela, c’est Julius Africanus (vers 160–240) et voici ce qu’il affirme : Si le monde fut créé le 25 mars, alors le Christ fut incarné (conçu) le 25 mars et, en ajoutant 9 mois, la naissance du Christ tombe le 25 décembre. Cette datation du 25 mars comme date de la création sera reprise par le chroniqueur byzantin Georges de Syncelle dans sa chronographiai : Le passage mentionne Julius Africanus et cite ses calculs depuis Adam. On y lit que l’origine du monde (= la première année d’Adam) commence : « ἀπὸ τῆς ἐαρινῆς ἰσημερίας … τῇ εἰκάδι πέμπτῃ Μαρτίου » – « à partir de l’équinoxe de printemps … le vingt-cinq mars ».
Julius Africanus combine donc : la date romaine de la mort donnée par Tertullien (25 mars), la croyance juive de la “vie complète”, et la symbolique cosmique : la création et la rédemption commencent le même jour. C’est la première fois dans l’histoire chrétienne que le 25 décembre apparaît comme conclusion d’un calcul théologique.
Ce calcul est historiquement important car il montre que le 25 décembre n’a pas été inventé pour remplacer Sol Invictus. Synthétisons :
– Tertullien fournit la date pivot (25 mars).
– Africanus construit le raisonnement complet (25 mars → 25 décembre).
– Ce raisonnement sera repris par Hippolyte de Rome (vers 204–235) qui affirmera explicitement la naissance du Christ le 25 décembre
LA PLUS ANCIENNE TRACE DE LA DATE DU 25 DÉCEMBRE CHEZ LES PÈRES DE L’ÉGLISE ?
La proposition de date la plus ancienne pour la naissance de Jésus par les Pères de l’Église (et les auteurs chrétiens anciens) est celle soulevée par Clément d’Alexandrie vers l’année 194-200 ap. J.C dans son ouvrage Stromates (I, 21, 145-146). Clément rapporte plusieurs calculs en usage dans les milieux chrétiens d’Égypte et indique que certains estimaient que Jésus était né le 20 mai de l’an 1 avant notre ère (selon le calendrier julien), soit l’an 28 d’Auguste. Plus précisément, il écrit :
« Il y en a qui, ayant déterminé avec précision les dates, disent que [Jésus] est né dans la 28ᵉ année d’Auguste, le 25 de Pachôn [c’est-à-dire le 20 mai selon le calendrier égyptien, qui correspond au 20 mai julien en l’an 1 av. J.-C.]. »
C’est actuellement la proposition la plus ancienne connue venant d’un Père de l’Église pour une date précise de la nativité.
Autres dates anciennes notables (postérieures à Clément) :
Hippolyte de Rome († 235). Dans son Commentaire sur Daniel (IV, 23, 3–4), il écrit textuellement (version grecque conservée) :
« Ἡ πρώτη παρουσία τοῦ Κυρίου ἡμῶν ἡ ἐνσάρκος, ἐν ᾗ γεγέννηται ἐν Βηθλεὲμ, ὀγδόῃ πρὸ καλανδῶν ἰανουαρίων ἡμέρᾳ τετράδι, δευτέρῳ ἔτει τῆς ρϙδ΄ ὀλυμπιάδος… »
Traduction littérale :
« La première venue de notre Seigneur, celle dans la chair, lorsqu’il naquit à Bethléem, eut lieu le huitième jour avant les calendes de janvier, un mercredi, la deuxième année de la 194ᵉ olympiade… »
Il est écrit très clairement : 8 avant les calendes de janvier = 25 décembre (le comptage romain à rebours est formel : 1ᵉʳ janv. = calendes de janvier → 31 déc. = 2 avant → 25 déc. = 8 avant les calendes). La précision de la deuxième année de la 194ᵉ olympiade nous amène à l’an -3 av. J.C
Hippolyte de Rome est donc, avec une quasi-certitude, le tout premier auteur chrétien connu à attester par écrit que Jésus est né le 25 décembre de l’an -3.

Sextus Julius Africanus (vers 221) que nous avons mentionné plus haut, par un calcul arithmétique, montre que Jésus est né le 25 décembre de l’an 1 av. J.-C. (ou l’an 2 selon les recensions). Il situe l’incarnation (la conception) au 25 mars → ce qui donne 25 décembre pour la naissance. Il s’agit du premier raisonnement théologique aboutissant indirectement au 25 décembre.
Résumé des plus anciennes attestations
- vers 204 : Hippolyte de Rome dit explicitement : naissance le 25 décembre, et c’est la première mention connue.
- vers 221 : Julius Africanus donne la conception au 25 mars, 9 mois plus tard → naissance au 25 décembre.
- en 354 : Par le chronographe Philocalus qui mentionne la fête liturgique du 25 décembre et c’est la première attestation officielle dans un calendrier.
LES INDICES DANS L’ÉVANGILE DE LUC
Les Évangiles de Matthieu et de Luc sont les deux seuls à parler de la naissance de Jésus. Luc néanmoins reste celui qui nous fournit le plus de détails qu’il convient d’examiner avec minutie.
Tout d’abord, il y a ceux qui pensent que l’office de Zacharie au chapitre 1 de l’Évangile de Luc se déroule lors du Yom kippour et ceux qui pensent qu’il s’agissait de l’office quotidien de l’encens dont l’un avait lieu à 9h et l’autre à 15h. Certains Pères de l’Église ont davantage écrit sur l’offrande du soir.
Psaume 141.2 : Que ma prière soit devant toi comme de l’encens, et mes mains tendues vers toi comme l’offrande du soir !
ARGUMENTS EN FAVEUR DE YOM KIPPOUR
Zacharie exerce la fonction sacerdotale la plus solennelle, celle qui consiste à offrir l’encens dans le lieu saint (le lieu juste devant le Saint des saints). Dans tout le rituel du Temple, cela n’arrive qu’une seule fois par an pour un prêtre ordinaire et précisément le matin de Yom Kippour, quand le grand prêtre (ou, selon certaines traditions, un prêtre désigné) entre seul dans le lieu saint pour offrir l’encens après le sacrifice (Lévitique 16).
Même si Zacharie n’est pas le grand prêtre, Luc dit qu’il a été désigné « par le sort » (κλήρω, Lc 1.9) pour offrir l’encens, ce qui correspond exactement à la procédure décrite dans la Mishna (Traité Yoma 2–5) pour choisir le prêtre qui brûlera l’encens le jour de Kippour.
Ensuite l’ange apparaît « à droite de l’autel de l’encens » (Lc 1.11). C’est l’endroit le plus sacré après le Saint des saints lui-même, et l’accès y est extrêmement limité. Le jour ordinaire, plusieurs prêtres entrent ensemble pour l’encens du matin et du soir. Le fait que Zacharie soit seul avec l’ange correspond parfaitement au rituel de Yom Kippour où un seul prêtre pénètre à cet endroit.
Un autre détail est celui de la réaction du peuple : « Tout le peuple était dehors en prière à l’heure de l’encens » (Lc 1.10). Cela correspond exactement à ce qui se passait à Yom Kippour : tout Israël se tenait en prière silencieuse et prosterné pendant que le prêtre était dans le lieu saint.
La symbolique théologique de Luc tend à montrer que Jean le Baptiste est présenté comme le nouvel Élie qui vient « devant le Jour de l’Éternel » (Lc 1.17 citant Mal 3.23-24). Or Yom Kippour est précisément le « grand Jour » par excellence dans la tradition juive. Annoncer la naissance de Jean le Baptiste ce jour-là est donc très cohérent. Élisabeth conçoit peu après (Lc 1.24), Jean naît environ neuf mois plus tard ; Marie vient la voir alors qu’elle en est à son sixième mois. Jésus naît quinze mois environ après Yom Kippour, ce qui le place autour de la période de Noël (fin décembre si on prend Yom Kippour en septembre/octobre).
Tous ces éléments font que la majorité des commentateurs contemporains (Raymond Brown, Fitzmyer, François Bovon, Joël Green, etc.) et beaucoup de Pères de l’Église (Origène, Cyrille de Jérusalem…) considèrent qu’on peut légitimement comprendre que Luc situe l’événement à Yom Kippour, même s’il ne le dit pas explicitement.
DATE DE NAISSANCE DE JEAN LE BAPTISTE
La tradition chrétienne la plus ancienne et la plus constante (déjà attestée chez les Pères de l’Église dès le IIIe-IVe siècle et fixée définitivement dans le calendrier liturgique au plus tard au Ve siècle) place la naissance de Jésus exactement six mois après celle de Jean-Baptiste, conformément à Luc 1.36 : « Or voici qu’Élisabeth, ta parente, a conçu, elle aussi, un fils dans sa vieillesse, et elle en est à son sixième mois. »
Puisque la naissance de Jean le Baptiste est célébrée le 24 juin, cela donne pour la naissance de Jésus : 24 juin + 6 mois restant pour Marie = 24 décembre → fêtée le 25 décembre.
Mais voyons le calcul traditionnel plus précisément. Les Pères et la liturgie ne comptent pas simplement « 6 mois = 183 jours », mais suivent plutôt le calendrier liturgique symbolique et les cycles solaires :
Annonce à Zacharie → vers le 23/24 septembre (équinoxe d’automne) probablement lors de Yom kippour.
Conception de Jean-Baptiste → fin septembre
Visitation (Marie va voir Élisabeth qui est dans son 6ᵉ mois) → fin mars
Naissance de Jean-Baptiste → 24 juin (proche du solstice d’été)
Annonciation à Marie → 25 mars (conception dans le sein de Marie)
Naissance de Jésus → 25 décembre (proche du solstice d’hiver)
C’est exactement ce calendrier que l’on retrouve chez Bède le Vénérable (Homélie sur l’Avent, VIIIe.), dans le Martyrologe romain ancien, chez saint Jean Chrysostome, saint Augustin, saint Maxime de Turin, et bien d’autres.
CONCLUSION
Nous voilà donc arrivés au bout de notre enquête. Mon but n’était pas de vous convaincre, mais d’en apprendre un peu plus sur l’origine du 25 décembre comme date de naissance de Jésus. Aujourd’hui encore, les calendriers liturgiques catholique et orthodoxe maintiennent toutes ces dates (24 juin et 25 décembre), même si les historiens modernes discutent de la date historique réelle. Pour les Pères de l’Église et la grande tradition, il n’y a aucun doute : Jésus est né le 25 décembre. Pour l’année de naissance, je vous renvoie à l’article que j’ai écrit :



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