20 décembre 2023
Alexandre Nanot

Marc 14.52 : Un jeune homme en fuite

Contexte historique

Après avoir partagé le repas de la Pâque avec les Douze, Jésus se rend au Jardin des Oliviers dit « de Gethsémani ». C’est la dernière fois qu’il sera accompagné de ses Douze disciples, bien que Juda les ait quittés au cours du repas. Dans ce jardin de l’angoisse, trois d’entre eux sont mis à l’écart afin de le soutenir dans cette heure d’épaisses ténèbres. Mais au lieu d’intercéder, ils s’assoupissent. Ne leur jetons pas la pierre, nous aurions très certainement fait de même. Nul doute qu’ils étaient dans une bonne disposition de l’esprit, mais la chair a eu raison d’eux.
Tard dans la nuit, Juda vient accompagné de la garde (du sanhédrin) afin de saisir Jésus. C’est ainsi que Pierre, voulant le défendre, coupera l’oreille droite de Malchus, que Jésus guérira aussitôt. Et oui, même dans un moment pareil, il n’hésite pas à faire du bien à ceux qui viennent l’arrêter. Et c’est à cet instant-là qu’intervient un détail que seul l’Évangile de Marc nous a rapporté. 

Marc 14.51-52 : Un jeune homme le suivait, vêtu d’un vêtement de lin à même la peau (γυμνὸς). Ils le saisirent de force, mais lui, lâchant son vêtement de lin, s’enfuit nu (γυμνὸς).

Que signifie être nu ?

Voyons tout d’abord quelques traductions : 

TOB 2010 : mais lui, lâchant le drap, s’enfuit tout nu.
PDV : mais il laisse le drap et il part en courant, tout nu.
Stern 2018 : la toile qui le couvrait glissa ; et il s’enfuit, tout nu.

Chouraqui : Mais lui, lâchant l’étoffe, s’enfuit, nu.
Lausanne 1872 : mais lui, abandonnant la toile de lin, leur échappa nu.
Stapfer 1889 : mais il s’échappa tout nu, abandonnant son vêtement.

Vulgate : at ille reiecta sindone nudus profugit ab eis.

Comment ce jeune homme s’est-il enfui ? Les uns, disent « tout nu », ce qui correspond à une expression familière « être à poil » qui signifie « être tout nu ». D’autres traduisent « nu » et plus rare ceux qui rendent par « sans vêtements ». Le texte grec n’exagère pas comme certains rendent « tout nu » dans le sens d’absolument nu, mais il faut comprendre nu comme sans le vêtement que l’on porte ou en sous-vêtement.

D’ailleurs, la scène de la pêche miraculeuse relatée en Jean 21 nous le laisse entendre. Jésus conseille à ses disciples de jeter le filet du côté droit du bateau. Aussitôt, le filet se retrouve rempli de gros poissons. Jean reconnaît alors que c’est le Seigneur, et Pierre se jette aussitôt dans la mer, car il était nu. Personne ne s’imagine Pierre faisant alors du nudisme, ce serait incorrect, surtout lui, l’aîné des sept présents dans ce bateau. Mais qu’il soit en « maillot de bain » ou en caleçon, on le conçoit davantage. Être nu, ne signifie ni être habillé ni être tout nu.

Ce mot grec γυμνός (gymnos) n’est présent pas moins de quinze fois dans le Nouveau Testament (Matt 25.36-44 ; Mc 14.51-52 ; Jn 21.7 ; 2 Cor 5.3 ; Hb 4.13 ; Jc 2.15 ; Apo 3.17, 16.15, 17.16). 

Le mot gymnos en question

Quand on voit gymnos, on pense tout de suite au gymnase, ce bâtiment conçut spécialement pour y faire du sport. Le gymnasion qui a donné le mot gymnase, dérive tout simplement du mot grec gymnos qui se traduit par « nu, nudité » et ceci pour la raison suivante, c’est qu’à l’époque des grecs, tous les exercices et les sports étaient pratiqués nus par le genre masculin.

Les traces archéologiques les plus anciennes de gymnases remontent au VIe siècle avant J.-C. Il n’y a qu’à observer les vestiges archéologiques de poterie de cette époque pour constater deux hommes nus luttant, un autre nu lançant un disque et j’en passe. Le gymnase est fréquemment mentionné dans la littérature profane, surtout chez Platon qui le décrit comme un lieu où se développe l’une des relations clés de la société grecque : celle d’une relation entre un jeune garçon (eromenos) et un jeune homme (erastes), ces deux deviennent amants et le plus jeune profite du tutorat et de l’expérience de vie de son aîné.

Disons-le, les Grecs étaient un peuple débridé au niveau des mœurs. L’art et la culture grecs n’ont jamais usé autant de la nudité. Aucune civilisation avant et après eux ne l’a autant développée. Ce culte de l’homme et de son image est central chez les grecs. Ces athlètes étaient complètement décomplexés, mais aussi leur fallait-il tailler et bâtir ce corps afin de pouvoir l’exhiber. 

Paul écrira, dans sa Première Épître à Timothée, « que l’exercice corporel est utile à peu de chose » (1Tm 4.8). Cet avertissement n’est pas là pour interdire aux chrétiens de pratiquer le sport, mais l’environnement dans lequel se trouve Timothée était imprégné de la culture grecque. Éphèse est à l’extrémité ouest de la Turquie, juste en face de la Grèce, et ces chrétiens devaient retrouver un équilibre, entre le culte de la personne, celui de l’investissement qui était donné au sport, à l’entretien du corps (toute ressemblance avec notre société actuelle a de quoi interroger …). Un chrétien doit être quelqu’un d’équilibré, jamais dans l’excès. 

Qui est ce jeune homme ?

Plusieurs hypothèses ont été émises comme celle d’un fils de la maison où Jésus avait passé le dernier repas avec ses disciples. Mais que penser alors de cette simple tenue légère, qui n’était certainement pas adéquate pour une soirée d’hiver (Jn 18.25) ?

On a pensé avec raison qu’il sortait de quelques maisons de campagne voisines du jardin des Oliviers, ayant été réveillé par le bruit que faisait la foule (verset 43). C’est du moins ce que laisse entendre la traduction du R. P. De Carrière (1835), traduction sous forme de paraphrase : « Or, il y avait un jeune homme du voisinage qui, s’étant levé au bruit de ceux qui emmenaient Jésus, le suivait, couvert seulement d’un linceul : et les soldats voulurent se saisir de lui ».

D’autres y ont vu un type du vrai disciple, fidèle et prêt à tout abandonner pour suivre le maître. Celui-ci serait identifié à la mort du Christ : il ressuscite avec Lui, tout en revêtant l’Homme nouveau, qui est le Christ.

Enfin, la grande majorité des commentateurs présument qu’il s’agit de Marc lui-même, car pour mentionner un pareil détail, il fallait bien que quelqu’un soit présent, et l’auteur de cet Évangile pourrait bien être celui-ci. Marc est cité dans le Livre des Actes (12. 12-25 ; 13.5-13 ; 15. 37-39) et dans divers autres passages du Nouveau Testament (Col. 4.10 ; 2 Tim. 4.11 ; Philémon 24 ; 1 Pierre 5.13). Selon la tradition chrétienne, il fut le secrétaire de l’apôtre Pierre.

Une autre lecture possible

Au sujet de ce vêtement de lin σινδών – sindôn, ce mot ne se trouve que six fois dans les évangiles synoptiques et exclusivement lors de l’ensevelissement de Jésus (Mt 27.59 ; Mc 15.46 ; Lc 23.53) et oh surprise ! dans ce passage en question.

Du grec σινδών – sindôn, le mot est passé en latin līnteolum « petite pièce, étoffe, morceau de toile de lin » et a donné en français le mot « linceul ».

Cette pièce d’étoffe en lin était employée pour ensevelir les morts, mais alors pourquoi ce jeune homme en porte-t-il une ? Comment aussi, ce jeune homme aurait-il pu s’enfuir, en étant seul contre toute une foule d’hommes bien armés ? Ne pourrions-nous pas y voir plutôt, dans ce personnage, une victoire triomphante du Christ que la mort n’a pu retenir ? Car tel est le but des Évangiles.

Peut-être alors, y a-t-il, au-delà du sens littéral de ce passage, une tout autre portée visant à percevoir dans ce jeune homme anonyme, qui représenterait le Messie lui-même, celui que les hommes feront mourir, et qui sera enseveli d’un linceul, montrant par là qu’il est bien mort, mais il s’enfuira de la mort en laissant ce linceul entre les mains des hommes. (voir Jean 20.6-7).

L’Arrestation du Christ, par le Cavalier d’Arpino – 1597

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