5 avril 2020
Alexandre Nanot

Matthieu 6.13 – Donne nous notre pain

« notre pain quotidien » S21, Colombe, Jérusalem, Louis Segond, Bible annotée de Neuchâtel, Stapfer, Ostervald, Oltramare, Olivétan, Martin, Nouvelle Édition Genève, Synodale, Recouvrement, Louis Segond 1880, Pains et Poissons, Osty, Bible de Jésus-Christ, Lausanne, Bovet-Bonnet

« notre pain de ce jour »  Traduction Liturgique Officielle, Maredsous, Pierre de Beaumont (4 evang.)

« le pain qu’il nous faut » B. Des Peuples, Parole de Vie, Darby

« le pain dont nous avons besoin »  Semeur, TOB, Nouvelle Français Courant, Pierre de Beaumont (Le NT complet) 

« notre part de pain » Chouraqui 

« le pain nécessaire à notre subsistance » Crampon 

« notre pain de la journée  » Pléiades, Sœur Jeanne D’Arc 

« la nourriture dont nous avons besoin aujourd’hui » Bible Juive Complète 

« notre pain nécessaire » Amiot et Tamisier

« le pain de notre besoin » Évangile selon Joachim Élie et Patrick Calame 

« le pain de notre subsistance » Perret-Gentil  

« Donnez-nous aujourd’hui notre pain super-substantiel » Abbé Gaume 1864

« notre pain, qui est au-dessus de toute substance » R.P Bouhours

et enfin celle qui nous intéressera : « notre pain du jour qui vient [du lendemain] » que l’on doit à C.Tresmontant

La Bible Synodale 8e ajoute dans sa note : le pain de demain, c’est à dire le pain nécessaire pour demain. 

Quand nous sommes confrontés à autant d’interprétations différentes, c’est souvent que le texte grec est soit obscur, soit difficile à traduire. Je les ai triés et classés selon la compréhension que l’on peut en tirer.

De toutes ces traductions, nous pouvons tirer trois interprétations :

1- Donne-nous le pain pour ce jour, notre pain quotidien

Donne-nous notre pain de ce jour, sous-entendu le pain nécessaire pour cette journée, le pain représentant l’ensemble des besoins nécessaires pour chaque jour. Ceci fait probablement référence à la manne que Dieu donnait aux Israélites dans le désert : Tous les matins, chacun recueillait ce qu’il lui fallait pour sa nourriture (Ex. 16.21). Cette première interprétation est donc une requête au Père Céleste de bien vouloir pourvoir à nos besoins et ce, chaque jour. Ceci est légitime car Dieu lui-même prendra soin de nous et il nous est dit : Ne vous inquiétez de rien ; mais en toute chose faites connaître vos besoins à Dieu (Phil 4.6). Ce verset concorde bien avec la requête du pain quotidien et confirme l’enseignement de Jésus dans le sermon sur la montagne (Matt 6.25). C’est tout à fait légitime de demander à Notre Père de pourvoir à nos besoins.

Nous pourrions rapprocher cette requête au passage des Proverbes 30.8-9 :  Ne me donne ni pauvreté, ni richesse, accorde-moi le pain qui m’est nécessaire, de peur qu’étant rassasié, je ne te renie et ne dise : Qui est l’Éternel ? Ou qu’étant dans la pauvreté, je ne commette un vol, et ne porte atteinte au nom de mon Dieu.
Dans ce verset, nous trouvons le risque de profaner le nom de Dieu que l’on peut rapprocher avec le Notre Père : Que ton nom soit sanctifié. En relisant ce proverbe, il semble vraisemblablement faire écho au Notre Père en lien au respect dû au Nom de Dieu et au fait que Dieu accorde le pain nécessaire.

accorde-moi le pain qui m’est nécessairedonne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour
afin que je ne porte atteinte au nom de mon Dieuque ton Nom soit sanctifié

2. Donne-moi le pain dont nous avons besoin. 

Quel est ce pain que l’on pourrait qualifier de non matériel ? Il est intéressant de reprendre la première réponse de Jésus face à la tentation qui consistait à changer ces pierres en pains. Jésus répondit : Il est écrit : L’homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu (Matt 4.4). Jésus fait vraisemblablement référence à un autre pain.
Un traducteur a rendu « notre pain, qui est au-dessus de toute substance » R.P Bouhours, ce faisant, il reprend ce que Saint Jérôme traduit en latin Panem nostrum supersubstantialem « super-substantiel », c’est-à-dire qui se trouve au-dessus de la substance matérielle et il voyait juste en saisissant le sens d’un pain spirituel.

Déjà, les Pères de l’Église avaient donné une interprétation spirituelle de ce pain et faisaient ainsi référence au Verbe de Dieu, le Christ, qui se définissait lui-même comme étant le pain de vie (Jn 6 ). Saint Augustin, lui aussi, avait cette compréhension du pain spirituel sans pour autant écarter le pain matériel, qui est tout aussi nécessaire au besoin quotidien. Dans l’une de ses nombreuses homélies, retenons ce court extrait : « cette même demande : “donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien” s’applique aussi parfaitement à votre eucharistie. Seigneur, à cette nourriture de chaque jour, les fidèles savent ce qu’ils reçoivent alors il leur est salutaire de prendre cet aliment quotidien nécessaire à la vie présente. Quand à la parole de Dieu que l’on vous explique chaque jour et que l’on vous rompt en quelque sorte, elle est aussi un pain quotidien. Le corps demande le pain vulgaire, l’esprit quant à lui demande le pain spirituel. Aussi nous le demandons également et le pain quotidien comprend tout ce qui nous est nécessaire dans cette vie, soit pour notre âme, soit pour notre corps. »

Donne-nous aujourd’hui le pain dont nous avons besoin, c’est demander à ce Père qui est au cieux de nous donner à travers sa Parole, la nourriture spirituelle nécessaire à notre croissance. Paul dira que nous ne devrions plus en être au petit lait mais nous devrions avoir acquis une maturité capable de digérer de la viande, de la nourriture solide. (1Cor 3.2 ;  Hbr 5. 12-14). Dieu a une part de révélation de sa Parole qu’il veut communiquer chaque jour, chaque matin quand nous sommes à son écoute ( Esaïe 50.4). Notre croissance spirituelle est indissociable de la mesure de notre faim.

Ce pain spirituel, c’est aussi ce pain que nous rompons lors de la Cène, ce pain qui est le corps de notre sauveur, qui a été brisé et distribué entre tous. Donne-nous aujourd’hui la vie de Jésus en nous, qu’il jaillisse à travers nous, telle la lumière qui brille au milieu des ténèbres.

Lors du seder de shabbat, le repas de shabbat, nous trouvons deux pains posés sur la table, des hallots, genre de pains tressés et briochés. L’un est désigné comme étant le pain de la terre et l’autre comme le pain du ciel. Le pain de la terre, c’est ce que nous avons développé dans la première partie, c’est-dire, les besoins fondamentaux de l’homme. Le pain du ciel, c’est le pain de la Parole de Dieu.

3. Le pain de demain. 

Cette traduction bien que peu habituelle demeure cependant riche de sens. Le Notre Père est une prière juive qu’il faudrait replacer dans son contexte, mais là n’est pas l’objet.

Nous l’avons dit, l’évangile de Matthieu a très certainement été écrit en hébreux puis traduit en grec. Le professeur David Flusser, qui le premier s’est penché sur cette analyse, suivi par Claude Tresmontant, qui a fait des recherches de traduction, est parti du grec pour revenir au substrat hébraïque. Ce qui donne cette traduction surprenante : « notre pain du jour qui vient [du lendemain].

Le grec dit : τὸν ἄρτον ἡμῶν τὸν ἐπιούσιον δὸς ἡμῖν σήμερον· – le pain – de nous – celui qui est venant, donne-le-nous aujourd’hui. 

Notons epiousios ἐπιούσιος , qui vient de epiousa ἐπιοῦσα – à venir

St Jérôme, mandaté par le Pape Damas, se trouva chargé d’effectuer une traduction de la Bible.  Pour ce faire, il s’est rendu à Bethléem pour effectuer son travail. C’est la fameuse Vulgate qui fit office de référence dans toute l’Église catholique, et ce, jusqu’à la réforme.
Dans son introduction, il mentionne avoir visité à Jérusalem une communauté judéo-chrétienne qui faisait ses cultes en hébreux, qui respectait le shabbat et les fêtes, la circoncision, etc. et que l’on appelait les Nazoréens. Jérôme ajoute qu’ils lisaient le nouveau testament en hébreu et principalement celui de Matthieu, en langue hébraïque appelé l’évangile des Hébreux.

Jérôme n’a pas eu trop de mal à traduire les Écritures mais le Nouveau Testament lui a causé quelques problèmes. Dans le passage du Notre Père, il s’est heurté à ce mot epiousos. Il faut savoir que ce mot est un hápax (legómenon). C’est-à-dire qu’on ne le trouve que dans ce verset et nulle part ailleurs, ni dans aucune littérature grecque de l’époque. Ce qui fait la difficulté pour en comprendre le sens. La seule chose que l’on sait, c’est qu’il dérive du verbe “venir”.

Ne voulant pas faire entorse au texte, il consulta donc cet évangile de Matthieu écrit en hébreu et trouva écrit : alekhlem shel mahar – le pain de demain, donne-le-nous aujourd’hui.

Notez que « notre » n’est pas rattaché au pain, mais à « de ce jour », ce qui rend « notre pain du lendemain – donne-le nous auourd’hui » comme traduction plus juste, ce qui est parfaitement correct du point de vue de la grammaire biblique hébraïque.

Donc, selon cette interprétation, il y aurait une réalité future que nous pourrions saisir dans notre aujourd’hui. Il y a deux mondes : ‘olam haze, ‘olam haba. ‘Olam haze – c’est ce monde-ci, ‘olam haba, c’est le monde à venir, celui du royaume de Dieu. Nous pouvons manger par anticipation ce pain du royaume, ce royaume comme dira Jésus, qui vient.

Le pain du monde qui vient, c’est ce pain eschatologique. Bien que réel dans le monde futur, nous pouvons en expérimenter les prémices dès aujourd’hui, dans ce monde-ci.

3 Commentaires

  1. CHRISTIAN MICHAUD

    Ça me laisse sans voix….. Extraordinairement bien écrit…..Que de découvertes.Cette rubrique n’a pas fini de nous surprendre 👍

    Merci Alexandre

    Réponse

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