31 mai 2023
Alexandre Nanot

Genèse 11.29 : Qui est Yiscah ?

Sepher Beréchit 2023 : Et Avram et Nahor prirent pour eux des femmes – Nom de la femme d’Avram : Saraï – Nom de la femme de Nahor : Milcah, fille de Harane, père de Milcah et père de Yiskah.
NFC : Haran était aussi le père d’Iska.
LITURGIE 2013 : père de Milka et de Yiska
GIGUET : fille d’Aran, père de Melcha et d’Iescha
OLIVÉTAN : lequel était père tant de Melcah que de Iscah
S21 : Elle était la fille d’Haran, qui était le père de Milca et de Jisca
GLAIRE : qui fut père de Melcha et père de Jescha
MAREDOUS : elle était fille d’Aran, père de Melca et de Jesca

L’hébreu dit simplement : אֲבִי־מִלְכָּה וַאֲבִי יִסְכָּה –  Père de Milcah et père de Yiscah

Pour les lecteurs assidus du livre de la Genèse, qui étudient et scrutent le texte biblique afin d’en tirer des leçons, il arrive que l’on s’arrête parfois sur des détails. On se rend vite compte qu’il ne s’agit pas de détails pour combler des phrases, mais comme disent les rabbins, la Torah ne nous dit que ce qui semble utile et profitable. Il n’y a pas de détails qui ne soient sans importance et chaque lettre du code biblique a son utilité.

Les onze premiers chapitres de la Genèse concernent l’humanité, mais dès la fin du chapitre onze, on remarque que l’histoire se concentre sur une famille, celle de Térah et de ses trois enfants, et finalement pour ne se concentrer que sur Abraham et sa descendance. Le chapitre onze place le décor et le contexte dans lequel s’inscrit cette histoire. Après l’épisode de la tour de Babel, il nous est listé la postérité de Sem, l’un des trois fils de Noé. Du sein de cette humanité, qui va se répartir sur toute la terre, Dieu va choisir de se révéler à un homme : Abram. Dès lors, la Bible ne s’attachera qu’à la postérité d’Abram qui donnera le peuple juif ; du livre de la Genèse jusqu’à la venue du Messie, relatée dans les quatre Évangiles, on ne parle que du seul peuple juif, la descendance d’Abram. 

Revenons à la fin du chapitre onze. La Torah nous dit que Térah eut trois fils : Abram, Nahor et Haran. (Gn 11.26).
Le Midrach nous apprend qu’Abram était l’aîné des trois frères. Nahor avait un an de moins que lui et Haran avait deux ans de moins qu’Abram. Haran, le troisième fils, engendra Lot, et le verset 29 nous apprend que Milcah et Yiscah étaient, elles-aussi, ses filles. Haran meurt en présence de son père en terre des Chaldéens.
A la suite de cela, nous apprenons que les deux frères aînés prennent chacun pour femme une des filles de leur frère décédé. Abram prit Saraï et Nahor prit Milcah. D’emblée la Torah nous dit que Saraï était stérile. On comprend tout de suite que si Abram n’aura pas de descendance, la lignée s’arrêtera là pour lui. Mais venons-en à la sœur de Milcah dont le prénom Yiscah n’est mentionné qu’une seule fois dans toute la Torah.

Qui est cette femme ?

Ce qui peut paraître surprenant, c’est qu’à certains passages, Abraham présente Sarah comme sa sœur. Or, dans le texte de la Torah, Saraï n’est pas mentionnée comme étant la fille de Térah (Genèse 11-27). Elle n’est donc pas la sœur d’Abraham au sens propre du terme. Aurait-il menti ? Ainsi, il a demandé à Saraï de dire à Abimélekh qu’ils étaient frère et sœur. Mensonge ou vérité ? Ou les deux à fois ? Saraï n’est point sa sœur au titre direct avec Abram et pourtant, elle peut se dire « sœur », au même titre que Loth, fils de Haran est très clairement le neveu d’Abram. Or Abram considère Loth comme son frère et ne manque pas de l’appeler ainsi (Genèse 13-8) : « Abram dit à Loth : qu’il n’y ait donc point de querelles entre moi et toi, entre mes pasteurs et les tiens ; car nous sommes frères. » Le terme de frère et de sœur, dans la Torah, s’étend à la proche famille et inclut donc aussi les nièces et les neveux.

La première source à consulter, c’est le Targoum et, il est intéressant de noter que le Targoum Yonathan Ben Uzziel – 27031 dit ceci : « père de Milkah et père de Yiskah qui est Saraï.» Cela nous explique qu’Abram épousa sa nièce, de même que Isaac épousera Rebecca, la petite-fille de Nahor et de Milcah (Gn 24-24) et Jacob épousera les filles de Laban, frère de Rebeccah. Voici un petit tableau pour se repérer.

La question que l’on se pose est donc de savoir qui est cette Yiscah. Or, nous savons à présent qu’il s’agit de Saraï, et tout comme une femme change de nom de famille lorsqu’elle se marie, on peut penser que Yiscah devient Saraï quand Abram la prend pour sa femme. Nous voyons donc que la femme d’Abram va passer par trois stades au cours de sa vie :  Yiscah, Saraï et enfin Sarah. Trois noms liés à trois destins.

Tournons-nous à présent vers le célèbre rabbin de Troyes, Rachi (XIe siècle), qui a longuement commenté la Torah. Dans son commentaire, il dit ceci : 

« Yiska, c’est Sara, ainsi nommée parce qu’elle « voyait » (sokha -סּוֹכָה) par l’esprit divin par un souffle de prophétie, et d’autre part que tous « contemplaient » (sokhin – סוֹכִין) sa beauté selon le passage de Gn 12.15 : Puis les officiers de Pharaon la virent (pour sa beauté). Ou encore : Yiska est à rapprocher de nesikhouth – נְסִיכוּת qui suggère l’idée de noblesse, alors que Milcah est à rapprocher de malka  reine. Comme le mot Sarah suggère celle de princesse. De même, on peut comprendre que Sarah – שָׂרָה est le féminin de sar -שר, le prince. »

Sarah est, dans la tradition juive, comptée parmi les prophétesses. Tandis que le nombre des prophètes recensés dans le canon hébraïque s’élèvent à 48 prophètes, la Torah va citer le nom des sept prophétesses et en faire la preuve, versets bibliques à l’appui, afin de montrer qu’elles méritent ce titre. Il s’agit de Sarah, Myriam, Déborah, Hannah, Abigaël, Houldah et Esther. Pour Sarah, on s’appuie sur ce verset : « Tout ce que te dira Sarah, écoute sa voix » (Gn 21.12).
C’est par cette déclaration que Dieu appuie auprès d’Abraham la demande de Sara concernant le renvoi de sa servante Hagar et Ishmaël, car elle a compris qu’Isaac ne devait pas suivre le mauvais exemple de son demi-frère mais que lui est le seul véritable héritier de la Promesse faite à Abraham. Sarah a donc « vu » juste, elle était donc « inspirée » dans cette décision qui s’avèrera capitale pour l’existence du peuple d’Israël afin de donner naissance au « peuple saint », peuple partenaire de l’Alliance divine et du pacte qui leur sera donné par Moïse au mont Sinaï.

Le dernier mot du verset 29 est Yiska – יִסְכָּה et les deux premiers mots du verset 30 sont et fût Saraï וַתְּהִי שָׂרַי et notons que sans le vav וַ qui signifie « et », les trois autres lettres תְּהִי sont une forme du verbe être – tu seras  et qui, additionnées font 415.  הֲקְדֹ֥ושׁ haqadoch qui signifie Le Saint a pour valeur numérique aussi 415. Cela vient de verbe qadosh, qadesh qui signifie « mettre à part, sanctifier ». De là, nous pouvons faire le rapprochement entre ces deux prénoms de Yiscah et Saraï. La fille de Haran Yiscah sera mis à part pour être femme d’Abram et deviendra Saraï.

La vie du couple va basculer au chapitre 17. Dieu réitère sa promesse à Abram pour entrer dans son héritage, et dès lors, Dieu va opérer une opération dans la vie d’Abraham אַבְרָהָ֖ם, d’Abram אַבְרָ֔ם qu’il était, il devient Abraham -אַבְרָהָ֖ם. Quelle différence, direz-vous ? En hébreu, il n’y a qu’une lettre qui est insérée dans son nom, un הִ – . C’est exactement la même chose pour sa femme. Pour Saraï, il est dit au verset 15 : « Saraï, ta femme, ne sera plus appelée du nom de Saraï, mais son nom sera Sarah ». De Saraï – שָׂרַי, elle devient Sarah – שְׁמָהּ. Peu de traducteurs en français ont rendu Sarah avec le h final. Or, la lettre הִ – est la lettre du souffle de vie. Elle est l’une des quatre lettres du Nom de Dieu, le Téragramme יהוה. C’est comme pour dire que Dieu signe de son nom dans la vie d’Abraham et de Sarah. Avec cette nouvelle lettre dans son troisième nom, Sarah peut enfin entrer dans sa destinée, être la mère du fils de la promesse.

Vous ne serez plus sans savoir que le prénom Jessica vient de l’hébreu Yisca car le J en hébreu n’existe pas.

Alexandre NANOT

1 Commentaire

  1. Durand

    Salut ! J’ai une question :
    Haran a deux ans de moins qu’Abram. En genèse 17.17 on voit qu’Abraham et Sarah ont 10 ans d’écart. Cela veut dire que Yisca est née quand Abram avait 10 ans et Haran 8 ans ?

    Réponse

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