14 mai 2020
Alexandre Nanot

Y a-t-il des licornes dans la Bible ?

 

Buffle, antilope, aurochs, licorne…Que choisir ?

Psaume 92.11 : וַתָּרֶם כִּרְאֵים קַרְנִי;    בַּלֹּתִי, בְּשֶׁמֶן רַעֲנָן

MARTIN 1744 : Mais tu élèveras ma corne comme celle d’une licorne,
et mon onction sera d’une huile toute fraîche.

NBS : Tu élèves ma corne comme celle de l’aurochs,
je suis arrosé d’une huile fraîche.

FC 1997 : Tu m’as donné la force du buffle,
tu as versé sur moi un peu d’huile fraîche.

Bible des peuples : Mais à moi tu me donnes l’assurance du buffle ;
tu m’as fait le massage aux huiles de vigueur

CHOU : Tu exaltes ma corne comme celle des antilopes,
je suis pétri d’huile luxuriante.

Z.KAHN : tandis que tu grandis ma force comme celle du reêm,
et que ma décrépitude reverdit au contact de l’huile.

TOB 1988 : Tu as relevé mon front comme la corne du buffle,
et je baigne dans l’huile fraîche.

Si vous cherchez des licornes dans la Septante, vous les trouverez aux endroits suivants, là où l’hébreu dit  « re’em » : Nb 23.22; Nb 24.8; Dt 33.17; Jb 39.9 et 10; Ps 22.21; Ps 29.6; Ps 77.69; Ps 92.10.

Comme dit dans le texte en hébreu, apparaît à neuf endroits le mot « re’em » pour désigner un animal à corne, sans qu’il existe de mot équivalent en grec. La Septante LXX  traduction grec de  l’Ancien Testament a rendu le mot « re’em » par « monoceros » (animal à une corne) qu’ils ont dû emprunter à Ctesias ou Aristote. En effet, le plus ancien texte de la littérature occidentale évoquant la licorne date de – 416 à – 398. On le doit au médecin grec Ctésias, qui résida 17 ans à la cour de Perse, avec Darius II et Artaxerxès II.

Entre -400 et 400 ap-JC, les juifs hellénistes n’utilisaient que la LXX. Mais avec l’expansion du christianisme, le Pape Damas chargea Saint Jérôme d’entreprendre une traduction de la Bible en latin que l’on appelle la Vulgate. On passa donc du grec vers le latin, rendant le grec « monoceros »  par le latin « unicornis ».  Ensuite, les premiers humanistes et réformateurs du XVIe, en tout cas, ceux qui traduisirent depuis la Vulgate rendirent le latin « unicornis » par « licorne » en français et rendu en anglais par « unicorn ». Voilà comment on passe de l’hébreu « re’em » au grec, puis du grec au latin, du latin au vieux français des réformateurs et du vieux français au traductions contemporaines.

C’est pourquoi la Martin, que certains déclarent comme la meilleure des traductions (ce qu’il faut encore prouver), a traduit par licorne. Même les premières traductions d’Ostervald, et ce jusqu’en 1885, utilisent neuf fois le mot licorne.
On peut tout simplement suggérer qu’au XVIIIe siècle, David Martin eut utilisé la Vulgate comme support à sa traduction de l’Ancien Testament, car disons-le, la spécificité de cette traduction réside dans le choix, pour le Nouveau Testament, des textes majoritaires.
Il est fort probable que David Martin ait été influencé par le mythe de la licorne dont la littérature abondait de son temps. Du moyen-âge à la Renaissance, la mythologie de la licorne foisonnait autour de cet animal mythique.

Dans son Historiae animalium (1551-1558), Conrad Gessner recense et illustre le premier ouvrage de zoologie moderne visant à décrire tous les animaux connus. On y trouve le monocerote, un type de licorne.

 

Et aujourd’hui

Je reprend ici une partie de l’interview réalisé avec Jean-Marc Thobois, en Octobre 2019.

L’animal dont il est question dans ce verset se dit « re’êm », on le trouve neuf fois dans les Écritures.
Il est le plus souvent traduit par buffle, ce qui n’est pas tout à fait exact. Sait-on exactement aujourd’hui de quel animal il s’agit ?

J-M Thobois :  La plupart des traducteurs ne connaissent que trop peu la faune et la flore du pays d’Israël et dans ce passage, sachez que l’animal en question existe toujours. Il s’agit de l’Oryx que l’on trouve encore dans le sud du Neguev. Dans ma traduction, j’avais mis le « Reêm » mais l’éditeur a voulu absolument mettre le buffle. Cette « re’em », de la famille des antilopes, possèdent deux grandes cornes. Et si vous la voyez de profil, elle semble n’avoir qu’une corne. Ce qui a fait dire à certaines traductions des licornes.

 

Les Pères de l’Eglise et la licorne

L’autorité de la Bible et des Pères de l’Église a joué un grand rôle dans la persistance de cette croyance. Sans doute à cause d’une traduction erronée d’un terme hébreu, la Vulgate évoque en effet à sept reprises la licorne. Elle apparaît à l’origine comme un animal malfaisant et violent. Saint Basile avertit ainsi le croyant : « Prends garde à toi, ô homme, et défie-toi de la licorne, c’est-à-dire du démon, car elle fait aisément le mal et le trame contre les hommes. » Quant à Saint Bernard, il enjoint l’homme à lutter contre ses démons : « la rage du lion, l’impudeur du bouc, la férocité du sanglier, l’orgueil de la licorne ».

Aujourd’hui, on en rigole, ça nous fait sourire. Mais nous voyons et constatons qu’une mauvaise traduction peut influencer toute une génération. Pour le cas des licornes, il n’y a pas d’incidence doctrinale.

Dans le langage biblique, la corne qeren symbolise la puissance, la force d’un royaume. On voit, dans Daniel et ses visions, un bouc avec une très grande corne. Dans l’apocalypse au ch. 13 et 17, une bête à dix cornes dont l’ange donne l’interprétation à Jean : Les dix cornes que tu as vues sont dix rois, qui n’ont pas encore reçu de royaume ( Ap 17.12). 

Elle symbolise la force chez une personne. Anne était stérile, méprisée par Peninna et tourmentait son âme, jusqu’au jour où Dieu la visita et elle conçut et enfanta Samuel. Alors elle fait monter cette prière :

Alors Anne fit cette prière : « Mon cœur exulte en Yahvé, ma corne s’élève en mon Dieu,
ma bouche est large ouverte contre mes ennemis, car je me réjouis en ton secours. (1Sm 2.1)

Enfin, nous retrouvons la même idée lors de la naissance de Jean-Baptiste. Son père Zacharie, rempli du Saint-Esprit prophétisa et dit :

Et Zacharie, son père, fut rempli de l’Esprit Saint, et prophétisa, disant :
Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, car il a visité et sauvé son peuple,
nous a suscité une corne de délivrance dans la maison de David son serviteur,
ce qu’il avait dit par la bouche de ses saints prophètes, qui ont été de tout temps,
une délivrance de nos ennemis et de la main de tous ceux qui nous haïssent. (Lc 1.68)

La seconde venue du messie en gloire, que tous les élus attendent, sera l’accomplissement de cette prophétie et la corne d’Israël sera établie pour la gloire des nations par le règne du Jésus-Christ et par l’établissement de son royaume.

Marantha – Viens Seigneur, viens !

 

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