13 février 2021
Alexandre Nanot

Nombres 12.1 : La femme coushite

NEG : Marie et Aaron parlèrent contre Moïse au sujet de la femme éthiopienne qu’il avait prise,
car il avait pris une femme éthiopienne.

CHOU : Miriâm et Aarôn parlent contre Moshè au sujet de la femme koushite qu’il avait prise

PdeBEAUMONT : Miryam et Aaron critiquent Moïse à cause de la Soudanaise qu’il avait prise pour femme

TOB2010 : Quand Miryam – et de même Aaron – critiqua Moïse à cause de la femme nubienne qu’il avait épousée

CAST : Marie et Aharon parlèrent contre Moyse à cause de la femme more qu’il avait épousée

La Torah n’est pas très bavarde au sujet de la femme de Moïse. On trouve en tout et pour tout quatre occurrences. Le mariage de Moïse avec Tsipora ( Ex 2.21), la circoncision de son fils au silex (Ex 4.25), elle et ses deux fils accompagnent Jethro son père à la rencontre de Moïse (Ex 18.2) et enfin cet épisode quelque peu obscur. Le tout étant de savoir de quelle femme il est question dans ce passage.
Mais replaçons-le dans son contexte. Ce chapitre 12 renferme qu’une seule histoire celle de Myriam et Aaron qui critiquent Moïse au sujet d’une femme coushite qu’il a prise. Il semble qu’ils se soient concertés entre eux. C’est souvent ainsi que la critique fonctionne, on parle le plus souvent dans le dos des gens. Mais Dieu, qui est silencieux, entend tout, même ce qui se dit dans le plus profond secret, même ce qui est dans le cœur de l’homme, c’est dire ! (Eccl 10.20; Lc 12.2). Dieu convoque les trois personnes concernées, confirme son choix en la personne de Moïse et annonce la sentence. Nous comprenons dans la suite du récit que leur objection servait plutôt de prétexte à un malaise beaucoup profond, celui de contester l’autorité spirituelle de Moïse, alors qu’il n’est que le troisième fils d’Amram et Yokeved. La jalousie commençait à animer les deux aînés au sujet de cette position prééminente de leur jeune frère. Frappée de lèpre, blanche comme la neige, Myriam est isolée pendant 7 jours et le peuple est contraint de resté immobilisé durant cette période. Par la faute d’un seul, tout le peuple est impacté. Notez qu’au v.14, Dieu compare la critique à une image assez abjecte, celle d’un père qui cracherait au visage de sa fille. C’est dire, que pour Dieu, la critique mais aussi tous les péchés de la bouche (en hébreu on appelle cela le « lashon hara » – mauvaise langue) sont graves et lourdes sont les conséquences qui en découlent.
Revenons à cette femme couhsite.

La majorité des traducteurs rendent l’hébreu ha-isha ha-coushite par une simple transcription française Coushite – Koushite. Ensuite une grande partie traduise par la femme Égyptienne et quelque rare comme la TOB ont opté par la Nubienne ou Pierre de Beaumont actualise en préférant mettre la Soudanaise, et enfin la Castellion (1555) qui a traduit pour les gens du peuple opte pour la femme more.

Que sait-on de Coush ?

Sur le plan géographique

Koush en babylonien, Kous en assyrien, s’écrit aussi bien Coush ou Koush selon les transcriptions, et désigne généralement l’Éthiopie ou la Nubie (dans l’actuel Soudan) mais par extension, il peut aussi être employé pour désigner d’autres régions dont les habitants ont la peau foncée.

La première mention de Coush nous renvoie au jardin d’Éden d’où sortait un fleuve qui se divisait en quatre bras (litt.têtes). Le troisième porte le nom de Guihon et parcours le pays de Coush. On associe ce fleuve au Nil. Ce nom Guihon vient d’un mot hébreu signifiant jaillir et c’est ainsi que la LXX l’applique au Nil dans la traduction de Jérémie 2.18.

Dans l’Ancien Testament, la terre de Coush fait généralement référence à l’Abyssinie et à la Nubie, régions que traverse le Nil avant de descendre en Égypte.

Sur le plan ethnique

Coush est le premier-né du troisième fils de Noé, Cham. Il nous est dit aussi que Coush engendra le fameux Nemrod qui lui-même est un type de l’antéchrist car c’est là son nom – Celui qui se révolte contre Dieu. Chez les Hébreux, ce nom désignait un peuple de couleur foncée habitant au sud de l’Egypte, dans la région de l’Éthiopie actuelle.

Qui est donc cette femme Coushite ?

Plusieurs interprétations ont été données. La plus courante revient à identifier Tsipora comme étant cette femme coushite. La seconde, que Moïse se serait remarié après la mort de Tsipora et enfin, troisième interprétation, certains iraient jusqu’à penser que Moïse aurait pris une deuxième femme, une coushite, et c’est ainsi que l’on peut comprendre le texte au sens simple.

Il n’est guère possible d’admettre que ce soit Séphora qui soit désignée par ces mots ; le peuple des Madianites auquel elle appartenait, se rattachait à la famille d’Abraham, un des fils de Ketura (Ex 2.16), tandis que les Cuschites étaient de la descendance de Cham. Comme il y avait déjà longtemps que Moïse avait épousé Tsipora, on ne comprendrait pas pourquoi Myriam lui chercherait querelle à ce sujet après tant d’années.

Il est plus probable de penser que Tsipora était morte et que Moïse s’était remarié, soit avec une femme faisant partie de ces étrangers sortis d’Égypte avec les Israélites, soit avec une femme issue de cette race cuschite dont l’Arabie était en grande partie peuplée (Gn 10.1-32). La loi n’interdisait que les mariages avec les Cananéennes (Ex 34.16; Dt 7.3-4).

Certains vont jusqu’à dire que Myriam, la sœur de Moïse méprisait cette étrangère à la peau noire et que c’est la raison pour laquelle elle fut frappée de lèpre, blanche comme la neige dit le texte, avec un jeu de contraste noir/blanc.

John MacArthur penche sur le fait que Moïse se soit remarié avec cette femme coushite peu après la mort de Tsipora.

Flavius Josèphe raconte dans ses Antiquités que Moïse, alors qu’il était général égyptien prit pour femme la princesse Tharbis (Ant 1.243ss).

RACHI explique : Myriam et Aaron parlèrent contre Moïse : C’est elle qui a commencé de médire, c’est donc elle que le texte mentionne en premier. Et d’où Myriam savait-elle que Moïse s’était séparé de sa femme ? Rabi Nathan a enseigné : Miriam se trouvait à côté de Tsipora lorsque l’on a annoncé à Mochè que Eldad et Meidad prophétisaient dans le camp. Entendant cela, Tsipora s’exclama : « Malheur à leurs femmes s’ils s’occupent de prophétie ! Ils se sépareront d’elles tout comme mon mari s’est séparé de moi. » C’est ainsi que Myriam l’a appris, et elle l’a raconté à Aaron.

La femme Kouchith. Cela nous apprend que tous s’accordaient sur sa beauté, de même que l’on ne peut que s’accorder sur la couleur noire d’un Éthiopien.

Kouchith. Pour ceux qui ont recours à la guématria, la valeur numérique des lettres de ce mot – 736 – même valeur que celle de « belle d’aspect » (Midrach Tan‘houma).

Prenons le Targoum Neofiti (N) de la bibliothèque vaticane, copié à Rome en 1504 traduit ainsi : Miryam et Aaron parlèrent contre Moïse, au sujet de la femme Coushite qu’il avait prise. Or, voici que la femme coushite (n’) était (autre que ) Séphora, la femme de Moïse ; mais (on l’appelait ainsi, car) de même que le coushite se distingue par son corps de toutes les (autres) créatures, ainsi Séphora, la femme de Moïse, était (particulièrement) jolie d’apparence et belle d’aspect, et distinguée en bonnes œuvres sur toutes les femmes de cette génération.

Le Targoum Pseudo-Jonathan, qui daterait du IVe siècle dit ceci : Miryam et Aaron proférèrent contre Moïse des paroles déplacées, au sujet de la femme coushite que les Coushites avaient mariée à Moïse, lors de sa fuite de devant Pharaon, et qu’il avait (ensuite) éloignée. En effet, on lui avait fait prendre pour femme la reine de Coush, dont il s’était tenu éloigné.

Pour aller plus loin

En se détachant d’une lecture au sens simple, on peut à présent faire une lecture un peu plus approfondie, appelons là « mystique » (dans le sens de caché) car nous pouvons en tirer d’autres leçons pour comprendre la sentence qui s’impose à Myriam. Considérons que la femme est l’œil de l’homme, la pupille plus précisément, comme le Talmud le dit : un homme non-marié est comme un non-voyant. Israël est décrite comme l’épouse de Dieu (Isaïe 54.5) qu’il a épousée au Mont Sinaï en lui donnant la Torah, tel un contrat de mariage. La parole du prophète Zacharie 2.12 dit : car celui qui vous touche (Israël) touche à la prunelle (pupille) de son œil. Or, quelle que soit la couleur de vos yeux, le point central de l’œil qu’on appelle la pupille est noir pour tout le monde. Considérons maintenant l’épisode qui précède l’appel de Moïse et sa première vision du buisson ardent au ch.3 de l’Exode, il nous est relaté à la fin du ch.2 le mariage de Moïse avec Tsipora. C’est cette « pupille » que représente Tsipora qui est l’enjeu de la jalousie familiale. Comme Moïse est considéré comme le plus grand des prophètes et le plus humble de la terre, il était d’une envergure prophétique sans précédent car lui seul pouvait regarder l’image de Dieu et il discutait bouche à bouche avec lui comme on parle à un ami. Si le grand Moïse pouvait voir Dieu, c’était grâce à Tsipora sa femme, qui lui avait permis d’avoir la vue prophétique. Tant que Moïse n’était pas marié à Tsipora, Dieu ne pouvait se manifester à lui et c’est suite à son mariage que l’épisode de la révélation va avoir lieu. C’est à cela que s’attaque Myriam, à cette capacité prophétique que Tsipora a dispensée à son mariage. Elle-même étant reconnue prophétesse (Ex 15.20) voyait d’un mauvais œil l’influence de sa belle-sœur Tsipora. Un œil aveugle est tout blanc car l’absence de pupille l’empêche de voir. Myriam sera frappée de gale, blanche comme la neige, en contraste avec le noir de la pupille.

Conclusion

Après avoir dit tout ça, quelle conclusion en tirer ? Il ne faudrait pas faire dire à la Torah ce que la Torah ne dit pas d’une façon claire. Nous cherchons trop souvent à tout vouloir expliquer or la Bible est pleine de mystères qu’il nous faut respecter. C’est être humble que de respecter ce choix et par orgueil nous voulons tout expliquer. Tsipora était-elle noire ? Etait-elle africaine ? Moïse a-t-il épousé une autre femme ? Répondre à ces questions ne comblera pas notre faim car la Torah a plusieurs niveaux d’interprétations et nous devons approcher chaque texte humblement et pour cela il faut s’abaisser. Dès lors, nous pourrons recevoir l’enseignement nécessaire qu’il nous faut en tirer sans pour autant exclure d’autres ouvertures.

L’auteur juif, Marek Halter a écrit plusieurs livres sur des femmes de la Bible. En 2004 sortait Tsipora qui aborde cette question de l’identité de ce personnage discret, épouse de la figure la plus emblématique du peuple juif.

1 Commentaire

  1. Falabregue Sonia

    Très intéressant. Malgré tout, je me perds un peu sur le plan géographique de cette époque !!!
    Merci Alex.

    Réponse

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