COL : Moïse ne savait pas que la peau de son visage rayonnait à la suite de son entretien avec l’Éternel.
LXX : Moïse ignorait que son visage était devenu glorieux, par la conversation du Seigneur.
PVD : La peau de son visage brille, parce que le SEIGNEUR a parlé avec lui.
SACY : il était resté des rayons de lumière sur son visage.
BJC : Lorsque Moché descendit du mont Sinaï avec les deux tables du témoignage à la main, il ne réalisait pas que la peau de son visage envoyait des rayons de lumière, parce qu’il avait parlé avec ADONAÏ.
TMN 1995 : et Moïse ne savait pas que la peau de son visage jetait des rayons, parce qu’il avait parlé avec lui.
À partir du XIIe siècle, les représentations iconographiques, les peintures, les sculptures, les vitraux et les enluminures ont toutes quasiment un point commun quand il est question du plus grand des prophètes du Judaïsme, c’est que l’on retrouve toujours Moïse avec les tables de la loi, la longue barbe et des cornes. L’une des plus célèbres étant celle que l’on doit à l’artiste Claus Sluter que l’on trouve à Dijon, œuvre achevée en 1405 et qui porte le nom “ Les puits de Moïse ”. On y trouve un Moïse avec deux petites cornes dont on pense que l’artiste s’inspira de la représentation du Moïse qui existait alors à Dijon au portrait de Saint-Bénigne.
Une autre, tout aussi célèbre, fut gravée dans le marbre par Michel-Ange dans la célèbre statue de Moïse que l’on peut voir sur le Tombeau de Jules II dans la basilique Saint-Pierre-aux-Liens à Rome.
Pourquoi donc représentait-on Moïse avec des cornes ?
Pour cela, il nous faut partir du texte original hébreu en passant du grec au latin et du latin au français. Dans la Septante, traduction grecque de la Bible hébraïque, réalisée vers 270 av.J.-C à Alexandrie, à la demande du roi Ptolémée Philadelphe II, le visage de Moïse est dit chargé de gloire. Plus tard, dans la Vulgate, version latine de la bible, réalisée entre 390 et 405 par saint Jérôme, Moïse devient curieusement cornu.
L’hébreu utilise le mot qeren qui peut signifié corne ou rayon ; il traduisit en latin cornuta esset facies sua « son visage était cornu » là où le texte hébreu dit <karan or panav>. Mais pour certains commentateurs, saint Jérôme aurait voulu intentionnellement relier ces deux mots pour exprimer, et le rayonnement du visage, et la puissance de la corne. Smeets déclare faire sienne l’explication de Mellinkoff relative au texte de l’Exode 34.29 : « Jérôme n’a pas voulu dire que la tête de Moïse fût cornue mais qu’elle exprimait la force, la dignité. » (Smeets J. R. Les cornes de Moïse)
Pour d’autres auteurs, dès le VIIIᵉ siècle, des copies manuscrites de l’œuvre de Saint Jérôme s’écartent du texte originel et l’un des copistes aurait écrit – cornatus « cornu » au lieu de coronatus « couronné ». Dans la vulgate actuelle, dite Sixto–Clémentine de 1592, cornatus est traduit par – son visage rayonnait –.
Déjà à son époque, Rachi de Troyes, l’éminent commentateur de la Bible au XIᵉ siècle, explique l’utilisation de la même racine de ces deux mots par le fait que « la lumière brille et ressort telle une corne ».
L’un des quatre docteurs du catholicisme, à savoir saint Thomas d’Aquin (1224-1274) a lui-même souligné ce contre-sens en protestant contre cette grotesque représentation des cornes en disant : « Il ne faut pas entendre littéralement le mot corne, il s’agit seulement des rayons qui sortaient du front, telles des cornes.»
QUE PEUT-ON DIRE D’AUTRE ?
Une autre interprétation tirée d’un midrash, commentaire de la Bible, rapporte que ce rayonnement provenait d’une goutte de lumière de l’encre dont se servait Moïse pour écrire la Torah.
Thomas Römer, exégète de la bible, analyse le sujet et le replace dans son contexte de l’époque. Il explique que, dans l’iconographie des civilisations de la région, les cornes étaient un moyen fréquent d’exprimer la force et le pouvoir d’un dieu ou d’un roi qui le représente. Telle serait l’expression d’une puissance surnaturelle. Les cornes de Moïse expriment donc une proximité sans équivoque entre Yahweh et Moïse. En effet, (Deutéronome 34:10) Moïse est le seul humain qui ait connu Yahweh face à face : il était le médiateur entre Dieu et son peuple. En outre, à la seconde descente de la montagne, le peuple avait devant lui une « représentation » vivante du divin qui se substitua (en quelque sorte) au veau d’or, représentation interdite du divin. (The Horns of Moses. Setting the Bible in its Historical Context – Thomas RÖMER)
Vous aurez peut-être remarqué la corrélation entre les cornes de Moïse, qui représentent la force de Dieu, et les cornes de ce petit taureau d’or que le peuple s’était fabriqué, qui allaient redonner force et vigueur au peuple.
Je vous partage pour terminer cet excellent commentaire de l’écrivain et dessinateur, Charles Szlakmann tiré de Moïse :
« Les versets Hébreux mentionnent à trois reprises l’expression <karan or panav>, « la peau de son visage était rayonnante ». Mais saint Jérôme a traduit <cornuta esset facies sua>« son visage était cornu ». Il a été victime de la proximité phonétique entre les mots hébreux <karan>, rayonner, et keren, corne. Dans le texte hébreu, il n’y a pourtant pas la moindre ambiguïté, car les versets emploient à trois reprises le même verbe, rayonner, et non un substantif qui pourrait être traduit par le mot cornes. Lorsque la Bible veut parler de cornes, comme en Lévitique 4:7 par exemple, « les cornes de l’autel », elle emploie le mot karnoth.
Enfin, dans la Septante, version grecque de la Bible datant du IIIe siècle avant notre ère, rédigée à Alexandrie sous le règne de Ptolémée II, le verset en question est traduit : « la peau de son visage était chargée de gloire ». Pas de trace d’un Moïse cornu (cependant, il y a bel et bien un autre jeu de mots, relevé par le Midrach : le mot or, peau, évoque le mot or, lumière, dont l’orthographe hébraïque est très semblable, à une lettre près). Il figure dans la Genèse : le premier couple humain était revêtu de lumière, d’or. Hélas, ayant péché, ils causèrent la disparition de cette lumière originelle et ne furent plus revêtus que de vêtements de peau… ). Toujours selon Thomas Römer, les Hébreux auraient bel et bien eu l’intention d’affubler Moïse de cornes, car, écrit-il, « les cornes symbolisent la force et sont souvent des attributs divins ». Pourtant, rien ne vient étayer cette idée. Au contraire, les cornes ne sont jamais des attributs divins mais sont toujours associées à l’animalité. Quant à Moïse, il reste un homme, la Bible insiste sans cesse sur « l’homme Moïse », ha- ich Mocheh. Il n’y a aucun exemple de personnage mi-homme mi-bête, du type satyre, centaure ou sphinx. La tradition hébraïque a précisément en horreur tout ce qui peut rappeler l’animalité en l’homme. »
Moïse par Charles Szlakmann, p.189-190 – Éditions Gallimard (19 février 2009)
Les Arabes surnomment couramment Alexandre le Grand ذو القرنين ḏū l-qarnayn, « celui aux deux cornes ».
« Plusieurs explications concernant la représentation des cornes d’Alexandre le Grand sont plausibles :
La première : afin de manifester sa nature divine, Alexandre le Grand figure dotés de cornes de bélier, de sorte à signifier sa filiation et par là même son assimilation au dieu gréco-égyptien, Zeus-Ammon.
La seconde : dans le Coran (sourate 18 : 82-97), Alexandre le Grand est nommé « Dhou al-Qarnaïn » (le Biscornu), qarn signifiant « corne » en arabe. Faisant référence au bélier ou au taureau, ses cornes désigneraient ainsi la force et le courage et par là même l’homme audacieux, vaillant et vigoureux.
La troisième : toujours dans le Coran, Alexandre le Grand étant allé aux deux extrémités de la Terre, et celles-ci étant appelées « cornes », l’une représenterait donc, l’occident et l’autre, l’orient. »
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